«Une bonne prof' a une envie sincère que les étudiants apprennent»
L’enseignement fait partie de sa mission. Et pourtant, Vasiliki Tileli ne se considère pas comme une enseignante «à plein temps». Cela n’a pas empêché la professeure grecque d’opérer un virage à 180 degrés lorsque ses cours ont reçu des commentaires négatifs. Ni d’être désignée meilleure enseignante 2022 de la section de science et génie des matériaux de l’EPFL.
«Si j’avais voulu devenir une enseignante ‘à plein temps’, je ne me serais pas lancée dans la recherche.» Vasiliki Tileli n’est pas du genre à mâcher ses mots. Elle précise: «Si j’étais une enseignante ‘à plein temps’, je serais en train de donner des cours dans un gymnase grec.» Ce «temps partiel» n’a pas empêché la responsable du Laboratoire pour la caractérisation in situ des nanomatériaux par des électrons (INE) d’être couronnée meilleure enseignante 2022 de la section de science et génie des matériaux de l’EPFL.
La professeure associée insiste, non sans une pointe d’ironie: «L’enseignement fait partie de ma mission; cela ne fait pas de moi l’enseignante idéale…» Il y a d’ailleurs une frustration dont elle ne parvient pas complètement à se débarrasser, «celle de ne pas pouvoir m’investir à 100% pour les étudiants». Reste que «si l’on s’en réfère à l’idéal de la Grèce antique, le rôle de l’académie est avant tout d’éduquer les jeunes collègues.» Dès lors, Vasiliki Tileli «tente de faire cela le mieux possible.»
Mais voilà, c’est du côté de la recherche que le cœur de la scientifique grecque a penché au moment de choisir sa voie professionnelle. «La curiosité a toujours guidé ma vie; très vite, j’ai voulu en savoir davantage sur le fonctionnement de la matière et des matériaux.» Elle rapporte qu’on lui demande parfois pourquoi elle n’a pas étudié l’histoire ou la philosophie. «En Grèce, ces deux disciplines sont omniprésentes; c’en est presque ‘too much’.» Adepte de physique et de chimie, la jeune bachelière apprend avec intérêt le lancement d’une filière d’études en génie des matériaux à l’Université de Ioannina, la principale ville d’Epire. Ni une, ni deux, elle s’inscrit. «Étant donné qu’il s’agissait d’un nouveau cursus, de nombreux professeurs grecs qui s’étaient exilés aux Etats-Unis sont revenus enseigner au pays; cela a créé une dynamique incroyable!» C’est à ce moment-là que Vasiliki Tileli a compris «à quel point un bon professeur est capable de faire aimer une matière à ses étudiantes et étudiants».
Du rêve au cauchemar
Son diplôme en poche, l’ingénieure met successivement le cap sur le College of Nanoscale Science and Engineering d’Albany (Etats-Unis) dans le cadre de son doctorat puis sur l’Imperial College London pour un post-doc. «J’envisageais sérieusement de rentrer travailler en Grèce lorsqu’on m’a rendue attentive à une place de professeure assistante mise au concours à l’EPFL.» La responsable de l’INE se souvient: «C’était LE poste de rêve sur tous les plans, probablement l’un des meilleurs au monde dans mon domaine.» Elle n’en revient d’ailleurs toujours pas de l’avoir décroché. «Il faut croire que les étoiles étaient alignées.»
Mais du rêve au cauchemar, la distance est parfois étonnamment courte. Lorsqu’au terme de sa première année académique au bord du lac Léman, la professeure a récolté 80% de commentaires négatifs de la part des étudiants, «cela a été le choc, au point que j’ai envisagé de tout arrêter». Et puis est venu le temps du recul, de la réflexion. «Je me suis rendu compte qu’il existait des différences culturelles non négligeables entre le système éducatif suisse et ceux avec lesquels j’avais été en contact auparavant.» L’une d’entre elles «est le fait qu’ici, les étudiants arrivent du gymnase sans examen d’entrée et avec un bagage technique relativement restreint».
Vasiliki Tileli a beaucoup discuté avec les futurs scientifiques, «parfois de façon très intense et émotionnelle», et a fini par réaliser que son enseignement était à la fois trop pointu et trop détaché de la réalité. «Bref, que les étudiants n’en comprenaient pas le sens.» L’enseignante a pris le taureau par les cornes. «J’ai complètement remanié mes cours afin de laisser une large place aux exemples concrets, de faire constamment le lien avec le terrain.» Un virage à 180 degrés qui a porté ses fruits, puisqu’à la fin de l’année suivante, le ratio entre feedbacks positifs et négatifs s’était inversé.
Anticiper le «décrochage»
«Ce qui fait une bonne ou un bon prof’ à mon avis, c’est sa volonté d’aider les étudiants à avancer, son envie sincère qu’ils apprennent.» Et d’ajouter en riant: «En ce sens, on peut dire que je suis une bonne prof’!» De l’avis de la chercheuse grecque, «le principal défi pour un enseignant est de trouver la façon de rendre sa matière accessible». Or, «l’un des meilleurs moyens d’y parvenir, c’est de connaître cette matière sur le bout des doigts, de se l’approprier; on ne vulgarise bien que ce que l’on maîtrise à fond.» Parallèlement, «il est essentiel de rester à l’écoute de son auditoire, de sentir à quel moment les étudiants s’apprêtent à ‘décrocher’ pour pourvoir intervenir le plus rapidement possible». La docteure en sciences des matériaux fait remarquer que l’une des grandes difficultés liées à l’enseignement à distance durant la crise pandémique se situait justement à ce niveau-là.
Depuis avril 2023, Vasiliki Tileli est professeure associée à l’EPFL. Une motivation supplémentaire pour «améliorer mon niveau de français». Mais attention, jusqu’à un certain point seulement. «Il est important que les étudiants connaissent la terminologie technique en anglais; si je me mets à trop bien parler la langue de Molière, nous pourrions être tentés de communiquer uniquement dans celle-ci», plaisante-t-elle.