Un très riche quart de siècle d'architecture vaudoise

École de la construction et bâtiment administratif à Tolochenaz. ©as

École de la construction et bâtiment administratif à Tolochenaz. ©as

Dans un livre-catalogue, Bruno Marchand et Pauline Schroeter consignent un quart de siècle d’architecture vaudoise, de 1975 à 2000.

C’est une capite de vigne, une station de transformateurs électriques, un quartier de 250 appartements, un gymnase, une chaufferie à bois, un arsenal, une église ou une prison. Puis des dizaines de rénovations, transformations, réhabilitations et autres reconversions. Et des places, des routes, des bords de lac, des passerelles, des escaliers et des ascenseurs. Enfin, trois sites institutionnels majeurs - l’UNIL, l’EPFL et le CHUV – analysés à travers leur développement. Voilà en accéléré-résumé le déroulé du nouvel ouvrage que signent les architectes Bruno Marchand, professeur honoraire de l’EPFL, et Pauline Schroeter, collaboratrice scientifique à l’EPFL. Sur près 500 pages en noir blanc et en couleur, ils révèlent les perles de l’architecture du canton de Vaud durant le dernier quart du siècle dernier. Rencontre avec les auteurs.

Pourquoi cette fourchette de dates?

BM : D’abord parce que ce livre est la suite d’un ouvrage précédent qui traitait de la période 1920-1975. Le milieu des années 70 est en outre marqué par de grands changements, notamment suite à la crise du pétrole et la fin de la modernité pour le monde architectural. L’an 2000 est plus symbolique, mais revêt néanmoins un sens, car il consigne la fin des incidences de la crise immobilière du milieu des années 1990.

Bruno Marchand, professeur honoraire
à l'EPFL. © DR

Qu’avez-vous découvert ?

BM : Une quantité inattendue de réalisations ! Ayant commencé ma carrière professionnelle en 1980, je pensais qu’on n’avait pas beaucoup construit durant cette période. Mais j’ai réalisé que, contrairement à la période du premier livre où la majorité des constructions étaient dans les grandes villes, cette fois, notamment du fait de la construction de l’autoroute en 1964, il y avait énormément d’objets en périphérie et ailleurs. La deuxième découverte est que le volume des constructions neuves se double d’un volume de transformations et rénovations, soit de bâtiments anciens soit de constructions des années 50, 60 et 70.

Quelles sont les caractéristiques spécifiques à cette période ?

BM : Elle est découpée en trois parties qui correspondent aux décennies 70, 80 et 90. Les premières sont véritablement des années de crise, mais elles sont très intéressantes, car elles marquent l’arrivée de beaucoup de thèmes comme la sensibilité écologique et patrimoniale ou la question énergétique. Les années 80 sont caractérisées par le développement des grandes institutions et équipements, notamment scolaires. C’est une période que l’on peut qualifier de post-moderne avec un retour à l’histoire et à la monumentalité ainsi qu’un recentrage sur l’autonomie disciplinaire : l’architecture ne se laisse plus influencer par les autres disciplines. C’est aussi la période de l’essor des concours publics.

Durant les années 90, du fait de la crise, les commandes diminuent. Les dépenses sont plus parcimonieuses ; on travaille de façon plus simple, souvent avec un seul matériau en même temps que l’art devient de plus en plus présent dans l’architecture.

Quels ont été vos critères de sélection ?

PS : Comme pour le livre précédent, on a opéré un dépouillement des revues d’architecture locales, nationales et étrangères, ce qui nous a déjà donné un corpus d’objets assez conséquent. Nous avons aussi utilisé différentes archives, les monographies d’architecte ainsi que les sites internet des bureaux du fait que beaucoup sont encore actifs aujourd’hui. Ensuite, on a sélectionné des objets qui avaient une forte représentativité que ce soit dans leur représentation architecturale, leur programme ou les préoccupations qu’ils reflétaient.

Pauline Schroeter, collaboratrice scientifique
à l'EPFL. © DR

Quelques réalisations remarquables ?

PS : Le gymnase de Nyon de Vincent Mangeat, l’Ecole de la construction à Tolochenaz de Patrick Mestelan et Bernard Gachet ou encore le centre communal à Chéserex de Fonso Boschetti. Outre leur force architecturale, ils expriment une vision de l’institution qui est très différente ; le bâtiment des Telecom PTT de Rodolphe Luscher, à l’entrée du site de l’EPFL, ou encore les Archives cantonales vaudoises de l’Atelier Cube sont deux objets qui ont été largement publiés.

Quelques rénovations remarquables ?

PS : On a distingué les rénovations historiques pour lesquels on peut citer la transformation des Galeries du commerce de Lausanne en Conservatoire de musique par le bureau Longchamp Froidevaux. Et les « héritages modernes » avec par exemple le siège de Nestlé à Vevey, rénové par Jacques Richter et Ignacio Dahl Rocha.

Y a-t-il une spécificité de l’architecture vaudoise ? Par rapport à l’architecture romande ? Et suisse ?

BM : Durant la période étudiée, il y a plusieurs publications sur la question de la spécificité de l’architecture régionale. Mais même si on peut différencier l’architecture vaudoise de l’architecture genevoise par exemple, en général on prend la Romandie comme un tout pour la distinguer de l’architecture alémanique. La première subissant une influence française et la seconde allemande. Il faut cependant tempérer cette idée, car, dès 1973, le département d’architecture a appliqué le principe des professeurs invités nationaux et internationaux. Les nouveaux étudiants ont donc baigné dans une culture internationale, cassant un peu les influences traditionnelles. En outre, s’il y a une architecture post-moderne en Suisse, son berceau est clairement la Suisse romande. Mais aujourd’hui, on peut dire qu’il y a une architecture en Suisse romande, mais pas de la Suisse romande.

Y a-t-il un ou des matériaux qui dominent ?

BM : Très clairement, de façon incroyable, il y a une domination de la brique silico-calcaire dans les années 80. On la retrouve dans tout type de bâtiments, cassant la présence significative d’un matériau en lien avec son usage. J’ai rarement vu à un moment précis de l’histoire de l’architecture un matériau qui a été aussi prisé. Si les qualités du matériau sont reconnues, je pense que c’est aussi dû à un effet de mode. Dans les années 90, le bois et le béton font leur retour.

Quelles ont été les grandes tendances en matière de transformation/restauration ?

BM : Une transformation réussie montrait l’ancien et le nouveau. Elle révèle que d’un côté l’on est respectueux du patrimoine, mais en même temps, il y a une expression contemporaine et artistique.

Vous consacrez un chapitre à trois grands ensembles institutionnels dont le campus de l’EPFL. Qu’y a-t-il de remarquable dans son développement?

PS : Le livre commence avec la fin de la première phase de planification du campus. Cette première étape qui se développait comme un tapis horizontal à partir d’un axe de référence est-ouest, avait été assortie de critiques. On y voyait une architecture introvertie, grise, un peu dure. La deuxième phase marquera donc une rupture avec l’apparition de la diagonale à 45 degrés pour offrir plus de mixité dans les usages. Ensuite, il y a la construction, au sud, du Centre de la physique des plasmas (en briques silico-calcaires) d’où partira le parc scientifique. La troisième phase ou le « Quartier Nord » dont la planification débute dans les années 90, cherchera à unifier les phases précédentes en reprenant les axe de références des bâtiments existants. Une partie des bâtiments suit un axe est-ouest et l’autre reprend l’axe nord-sud développé lors de construction de la diagonale, le tout réuni autour d’une place devant le bâtiment SG.

En conclusion, vous déplorez aujourd’hui l’absence de débat culturel en matière d’architecture ainsi que les réserves des architectes vis-à-vis des débats publics. Vivons-nous un degré zéro de l’architecture ?

BM : Chaque période est un peu différente. Depuis près d’une vingtaine d’années, les architectes construisent beaucoup et ont peu de temps pour réfléchir ou pour l’engagement politique. Le métier est aussi plus complexe du fait des contraintes techniques et tend finalement à se recentrer sur lui-même.

© EPFL PRESS

"Architecture du canton de Vaud, 1975-2000", Bruno Marchand et Pauline Schroeter, 464 pages, EPFL Press.