Un système de contrôle novateur pour les réacteurs à fusion

Le tokamak TCV du Swiss Plasma Center de l’EPFL © A. Herzog / EPFL

Le tokamak TCV du Swiss Plasma Center de l’EPFL © A. Herzog / EPFL

Dans une étude parue dans la prestigieuse revue Nature Communications, des chercheurs de l'institut néerlandais DIFFER et du Swiss Plasma Center de l'EPFL ont développé une méthode de contrôle inédite pour refroidir des particules très chaudes qui s'échappent inévitablement des plasmas de fusion. Un jalon dans la recherche en fusion nucléaire, potentielle source d’énergie propre et sans risques. 

« Nous sommes en train de passer de l'étude au contrôle. C'est fondamental pour l'avenir des réacteurs à fusion", souligne Timo Ravensbergen, chercheur au centre néerlandais DIFFER et premier auteur de l’étude qui vient de paraître dans la revue Nature Communications. "Nous sommes à même de mesurer, de calculer et de contrôler avec une rapidité incroyable". Le principe de fusion nucléaire, qui alimente le soleil, présente un fort potentiel d’énergie pour l’humanité, sans risques et respectueux de l’environnement. La réaction se produit lorsque des noyaux d’atomes légers sont chauffés à une centaine de millions de degrés, formant un gaz de particules chargées, nommé le plasma.Dans un réacteur à fusion, le plasma d'hydrogène extrêmement chaud est confiné par des champs magnétiques. Mais il y a toujours une fraction de particules qui s'en échappe. Pour éviter qu'elles n'endommagent la paroi du réacteur, elles doivent être refroidies. 

L’une des méthodes de refroidissement consiste à injecter du gaz additionnel. "Mais si la quantité de gaz injecté est trop importante, c’est le plasma entier qui se refroidit, ce qui diminue les performances du processus de fusion", précise Christian Theiler, co-auteur de la recherche et professeur au Swiss Plasma Center de l’EPFL. Il faut donc ajuster, tout au long de l’opération, l’injection de gaz. "Le consortium européen de fusion (EUROfusion) stipule que la nécessité de contrôler le refroidissement avec précision constitue un jalon essentiel pour développer l’énergie de fusion. C’est fabuleux de pouvoir contribuer à cette étape maintenant”, s’enthousiasme Matthijs van Berkel, de l’institut DIFFER. Dans Nature Communications, les auteurs décrivent comment refroidir, de manière rapide et contrôlée, les particules qui s’échappent, grâce à un système novateur de contrôle par boucle de rétroaction. Les tests ont été réalisés à l’intérieur du tokamak TCV, le réacteur expérimental basé au Swiss Plasma Center de l’EPFL.

Réduire la pression du plasma

L’hydrogène qui s'échappe du plasma est transporté à travers le divergeur, "système d'évacuation" du réacteur qui capte les particules récalcitrantes. Le processus de refroidissement intense qui se déroule dans le divergeur, à l’aide du gaz injecté, se nomme le détachement. Il permet de réduire la température et la pression du plasma proche des parois. Les physiciens spécialisés en fusion possèdent une grande expérience du processus de détachement, mais jusqu’ici, elle reposait en partie sur l'intuition et sur les mesures antérieures. Désormais, l’approche sera différente. "Avec cette recherche, nous avons développé un système fermé", explique Matthijs van Berkel, responsable du groupe Energy Systems & Control au centre de recherches néerlandais DIFFER. "Nous avons combiné différentes techniques, ce qui rend notre méthode unique. Notre approche de l'ingénierie des systèmes peut être appliquée à d'autres réacteurs de fusion". Dans leur publication, les chercheurs ont prouvé que le principe de contrôle ainsi développé fonctionne. Pour Matthijs van Berkel, la méthode sera transposable aux grands réacteurs internationaux de fusion ITER et DEMO, moyennant quelques ajustements. 

Mesurer, calculer, contrôler, pour éviter que le réacteur ne soit endommagé © Julia van Leeuwen

800 analyses par seconde

Pour leur recherche, les scientifiques ont utilisé le système de caméras MANTIS (Multispectral Advanced Narrowband Tokamak Imaging System). Développé par l'EPFL, DIFFER et le MIT, ce diagnostic d’imagerie est basé au Swiss Plasma Center de l’EPFL. Au cours de l’expérience, les images captées par la caméra sont converties en données. A partir de celles-ci, un modèle informatique calcule en temps réel le refroidissement optimal, dans des conditions variables. Le tout avec une précision considérable : l'état du plasma est analysé 800 fois par seconde.

Un nouvel algorithme de traitement d'images en temps réel, développé à l’institut néerlandais DIFFER, analyse les images de MANTIS. L'algorithme calcule la quantité de gaz à refroidir et contrôle ensuite automatiquement les vannes de gaz. Enfin, les chercheurs ont analysé, toujours à l’aide de la caméra, comment le plasma réagit au gaz injecté, puis ont développé un modèle. "Ce modèle nous permet de déterminer la relation dynamique entre le contrôle de la valve de gaz et le front de chaleur", explique M. Van Berkel. 

Expérience menée à l’EPFL

Les tests ont été effectués dans le réacteur expérimental du Swiss Plasma Center de l’EPFL, le tokamak TCV. « Un des points fort du tokamak lausannois est qu’il permet beaucoup de flexibilité. On peut effectuer des essais rapidement, avec une grande marge de progression», souligne le chercheur de l’EPFL Christian Theiler. Un avis que partage Matthijs van Berkel “Avec son système de contrôle en temps réel ultra moderne, TCV se prête extrêmement bien aux tests des techniques de contrôle. En quatre expériences seulement, nous avons obtenu un contrôle du plasma par boucle de rétroaction, dans le divergeur. Ce qui démontre que notre approche systématique fonctionne». 

Recherche future

Les scientifiques impliqués ont déjà développé une proposition de recherche future. Pour l’étude publiée dans Nature Communications, ils ont utilisé une seule caméra MANTIS, alors que le système en possède dix. Dans des recherches ultérieures, ils prévoient d’employer les autres caméras, pour contrôler le refroidissement des particules avec encore plus de précision, et maîtriser d'autres processus clés dans le divergeur. 

La fusion, grand potentiel énergétique

Le principe de fusion nucléaire, qui régit le soleil, présente un fort potentiel d’énergie, sans risques et respectueux de l’environnement. La réaction de fusion se produit lorsque des noyaux d’atomes légers sont chauffés à une centaine de millions de degrés, formant un gaz de particules chargées, nommée le plasma. La recherche dans le domaine connaît actuellement un coup d’accélérateur, avec le réacteur international ITER. Alors que l’immense machine expérimentale est assemblée en France, les chercheurs du monde entier planchent sur l’étape d’après : produire, en son sein, des réactions de fusion à grande échelle. Ce qui pose de nombreux défis, parmi lesquels le refroidissement des particules très chaudes qui s’échappent du plasma et risquent d’endommager la paroi interne du réacteur. Un défi auquel répond la recherche publiée par les scientifiques de l’institut néerlandais DIFFER et du Swiss Plasma Center de l’EPFL.

Partenaires

Ce projet est une collaboration entre l’institut DIFFER (NL), le Swiss Plasma Center de l’EPFL, l'Université de Technologie d'Eindhoven, la Vrije Universiteit de Bruxelles, le MIT, l'Institut de Physique des Plasmas de l’Académie tchèque des sciences, le Culham Centre for Fusion Energy, et l'Institut Max Planck de Physique des Plasmas, et s’inscrit dans le programme de recherche EUROfusion.

Références

T. Ravensbergen, M. van Berkel, A. Perek, C. Galperti, B.P. Duval, O. Février, R.J.R. van Kampen, F. Felici, J.T. Lammers, C. Theiler, J. Schoukens, B. Linehan, M. Komm, S. Henderson, D. Brida, M.R. de Baar, The EUROfusion MST1 Team, and the TCV Team. Real-time feedback control of the impurity emission front in tokamak divertor plasmas. Nature Communications, 17 Feb 2021

DOI 10.1038/s41467-021-21268-3