Un pionnier du réemploi à la tête du Smart Living Lab

Corentin Fivet © 2023 Alain Herzog

Corentin Fivet © 2023 Alain Herzog

Réutiliser des dalles en béton, des murs ou encore des poutres en bois ou acier : le professeur Corentin Fivet, arrivé à l’EPFL en 2016, est un pionnier du domaine. Il reprendra les rênes du Smart Living Lab ce printemps, alors que le centre fêtera son 10e anniversaire.

Lorsque Corentin Fivet est arrivé du MIT à EPFL Fribourg en 2016, en tant que professeur assistant tenure track, son domaine de recherche était en friche. « La revue de la littérature dans le domaine était brève : il n’y avait quasiment rien », sourit-il. Réemployer les matériaux porteurs dans le domaine de la construction n’était pas encore l’évidence reconnue aujourd’hui. Alors qu’il posait les premiers jalons de son domaine d’étude, le Smart Living Lab était à peine plus avancé. Quelques groupes de recherche de ce centre, où collaborent des laboratoires de l’EPFL, de la Haute école d’ingénierie et d’architecture (HEIA) ainsi que de l’Université de Fribourg, autour de l’environnement bâti de demain, s’étaient installés progressivement dans l’immense espace de la Halle bleue. « Ces dix ans sont symboliques. Prendre le poste de directeur académique de ce campus qui compte aujourd’hui douze laboratoires et de nombreuses réalisations, parfois au rayonnement international, représente le début d’un nouveau cycle », souligne Corentin Fivet, dont les recherches avec son équipe du Laboratoire d’exploration structurale (SXL) commencent à faire des émules.

Réutiliser les éléments porteurs présente de nombreux avantages notamment en réduisant drastiquement la génération de gaz à effet de serre, la quantité de déchets, ainsi que l’utilisation de matières premières et de ressources énergétiques

Corentin Fivet, responsable du Laboratoire d'exploration structurale et futur directeur du Smart Living Lab

L’architecture à base de matériaux de réemploi, un domaine en plein essor

Le fait de réutiliser les matériaux de construction n’est pas nouveau. « On en trouve de tout temps, car les matériaux neufs étaient très chers et ceux anciens étaient de bonne qualité », souligne Corentin Fivet. Mais dans la construction moderne, le réemploi des éléments porteurs reste encore une exception, malgré le fait que la plupart des bâtiments sont démolis alors que leurs composants sont en excellent état. « Les réutiliser présente de nombreux avantages notamment en réduisant drastiquement la génération de gaz à effet de serre, la quantité de déchets, ainsi que l’utilisation de matières premières et de ressources énergétiques », souligne-t-il. Soutenu par les recherches effectuées au sein de sa chaire de professeur à la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC), il se positionne comme leader mondial de ce domaine de recherche émergent. Nécessitant une réforme en profondeur de la manière de concevoir les bâtiments, il sait que le réemploi des éléments porteurs va prendre encore du temps à s’imposer. « Pour garantir l’application à grande échelle de cette stratégie phare de l’économie circulaire, Il faut par exemple revoir tout le cycle de travail dès les premières ébauches de dessin afin d’y intégrer les éléments existants, dont la connaissance des propriétés est souvent lacunaire. Il y a également une nécessité de développer de nouvelles méthodes de calcul ainsi que des processus de construction et de déconstruction différents. »

C’est grâce à un cursus hybride entre architecture et génie civil effectué à l’Université de Louvain, en Belgique, que le futur directeur académique du Smart Living Lab a jeté les premiers ponts entre ces deux domaines. « Je jongle avec l’expertise de l’architecte, consistant à identifier les bonnes questions à poser, et celle de l’ingénieur, consistant à y répondre efficacement », sourit-il. « Cette interdisciplinarité reste au cœur de mon laboratoire où se côtoient des scientifiques de ces deux cursus. Les discussions entre les différentes disciplines font émerger des approches disruptives et à la cohérence solide ». On se souvient ces dernières années, entre autres, des réalisations expérimentales les plus visuelles de son Laboratoire d’eXploration Structurale (SXL) : une passerelle fabriquée grâce à des morceaux de dalles sciés sur place, percés et assemblés grâce à des câbles de précontrainte ou une dalle faite de béton de réemploi, afin de démontrer la faisabilité technique et la viabilité économique du réemploi des éléments issus du sciage de bâtiments en béton armé.

Construction de la passerelle © 2021 EPFL

Davantage de formation continue

Déjà membre du comité directeur, Corentin Fivet a pu suivre toute la croissance du Smart Living Lab sous la direction académique de Marilyne Andersen. « Elle a initié les premières discussions ayant mené à la création du Smart Living Lab en 2014. Sous son impulsion, de nombreux projets ont eu un fort retentissement, à l’image du NeighbourHub, maison solaire lauréate de nombreux prix lors de la compétition internationale Solar Decathlon à Denver (USA) en 2017. Reconstruite à Fribourg, elle est actuellement utilisée comme activatrice de vie sociale au sein du quartier Bluefactory. D’autres initiatives transversales ont également vu le jour sous sa direction, comme le groupe Building2050, auteur des recherches ayant soutenu la conception du futur bâtiment du Smart Living Lab, ou plus récemment, comme le projet d'envergure suisse "SWICE". Ce dernier – coordonné par l’EPFL et au bénéfice d'un important financement de l'Office fédéral de l'énergie – vise à identifier et à quantifier le potentiel d'économie d'énergie et les possibilités d'amélioration de la qualité de vie qui peuvent émerger des futurs scénarios urbains. » Notons encore "ARC-HEST", un programme d’échange d’étudiantes et étudiants en master, qui tisse des liens étroits avec la Corée du Sud.

Corentin Fivet reprendra la direction académique du Smart Living Lab le 1er Avril 2024, aux côtés de Martin Gonzenbach qui en garde la direction opérationnelle. Cherchant à compléter l’ambition du Smart Living Lab consistant à pousser vers l’avant le domaine de la durabilité et du bien-être dans l’environnement bâti, un des premiers projets de Corentin Fivet consistera à renforcer l’offre de formation continue pour les architectes, ingénieures et ingénieurs civils, responsables d’opérations de construction et gestionnaires de parc immobilier. « Beaucoup ont la volonté de s’adapter, de modifier leurs réflexes et leurs pratiques, mais il leur manque un savoir-faire actualisé et des clefs pour mettre cela en œuvre au quotidien ». Ces formations auront également pour but de créer des synergies et des discussions autour de ces sujets d’actualité parmi les professionnels. Corentin Fivet se réjouit également des collaborations possibles entre les laboratoires des trois institutions partenaires : l’EPFL, la HEIA et l’Uni de Fribourg. « C’est une proximité unique dont la complémentarité entre recherches appliquées et recherches fondamentales est à faire fructifier ». Afin d’élargir encore le spectre des recherches autour de ces défis contemporains,de nouvelles chaires de l’EPFL devraient voir le jour ces prochaines années à Fribourg.


Auteur: Cécilia Carron

Source: Environnement Naturel, Architectural et Construit | ENAC

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