«Un peu de paranoïa ne fait pas de mal aux architectes du futur»
Par amour du ballon rond, Carmela Troncoso s’est lancée dans des études d’ingénieure en télécommunications. Aujourd’hui, la meilleure enseignante 2022 de la section d’Informatique et des Systèmes de communication de l’EPFL est une figure internationale des questions de sécurité et de confidentialité.
C’est la passion de Carmela Troncoso pour le ballon rond qui a guidé son orientation académique. «Après le gymnase, pour pouvoir continuer à jouer dans mon club de football, j’avais deux solutions: soit étudier à l’Université locale de Vigo (ndlr: située au nord-ouest de l’Espagne), soit me lever tôt tous les matins pour aller me former au métier de physiothérapeute, qui me tentait à l’époque.» Peu enthousiaste à l’idée de devoir se réveiller aux aurores, la jeune femme a alors opté pour un master d’ingénieure en télécommunications. Un choix par dépit qui, vingt ans plus tard, profite aux étudiantes et étudiants de l’EPFL: la professeure assistante a été élue meilleure enseignante 2022 de la section d’Informatique et des Systèmes de communication.
Il faut dire que rapidement, Carmela Troncoso s’est prise au jeu et a développé une seconde passion, à côté de celle pour son sport: celle pour la sécurité des données. «La question de la confidentialité m’a touchée par son côté humain; elle permet de défendre directement les droits fondamentaux», une thématique qui lui tient particulièrement à cœur. Pour les besoins de son doctorat, dont la thèse portait sur la conception et les méthodes d’analyse des technologies de la vie privée, l’ingénieure a mis le cap sur la Belgique et l’université KU Leuven. Ses chaussures à crampons étaient bien évidemment du voyage: «Pendant deux ans, j’ai évolué en tant qu’attaquante dans l’équipe de première division DVK Haacht.»
Des pommes et des Minions
C’est en 2017 que la chercheuse a rejoint la Suisse, afin d’intégrer le SPRING Lab (Laboratoire d’ingénierie de la sécurité et de la confidentialité) de l’EPFL. Non sans être retournée auparavant quelques années dans son pays natal, l’Espagne. Elle y a exercé les fonctions de responsable technique de la sécurité et de la confidentialité du Gradiant, le centre galicien de recherche et de développement en télécommunications avancées, puis de professeure à l’IMDEA Software Institute. En 2020, elle s’est par ailleurs faite connaître du grand public en participant à l’élaboration de l’app de traçage SwissCovid. Autant d’expériences professionnelles qui n’ont fait que confirmer l’importance à ses yeux de la sécurité informatique. «À l’époque contemporaine, tellement d’interactions sont devenues numériques que protéger le monde digital, c’est protéger la société.»
Reste à définir ce que l’on entend par sécurité. Et c’est là que le bât blesse. «Il n’y a pas de sécurité en soi; on se protège toujours contre quelque chose ou contre quelqu’un.» Selon Carmela Troncoso, c’est justement ce qui rend cette matière «fun à enseigner». Lors de leur premier cours, les élèves font l’objet d’une mise en bouche sous la forme d’un petit film animé montrant un pommier entouré d’une barrière servant à le protéger contre les Minions, ces créatures jaunes vêtues d’une salopette qui font hurler de rire les enfants (et leurs parents). «Tout à coup, trois Minions grimpent les uns sur les autres et parviennent ainsi à voler des pommes sur l’arbre.» Ce scénario imprévu «perturbe beaucoup les étudiants». Cela les met immédiatement au parfum: dans les cours de la professeure, «il y a souvent deux réponses justes qui cohabitent, à condition que l’argument sécuritaire tienne la route».
Une autre réalité quelque peu inhabituelle à laquelle sont confrontés les étudiantes et les étudiants de Carmela Troncoso, c’est le fait que dans le domaine de la sécurité informatique, «on travaille toujours sur le ‘worst case scenario’». Certes, ce mode de pensée peut entraîner une forme de paranoïa, admet la spécialiste. «Mais il ne faut pas oublier que dans le milieu dans lequel nous évoluons, l’ultra-vigilance est justifiée; les voleurs s’en fichent complètement de la légalité, ce qui les rend capables de tout.» Et de poursuivre: «Étant donné l’importance croissante du digital, mes étudiants seront amenés à avoir un grand pouvoir entre les mains d’ici quelques années; un peu de paranoïa ne fait pas de mal aux architectes du futur!»
L’art de l’empathie
Son prix de meilleure enseignante de sa section, Carmela Troncoso l’attribue d’une part à sa capacité à s’adapter aux besoins des jeunes, notamment pendant la crise de Covid-19, durant laquelle elle a radicalement changé sa manière de travailler afin de pouvoir rester le mieux possible en lien avec eux. D’autre part, «j’essaie d’être une professeure empathique, qui vibre avec ses étudiants: je me rends le plus possible aux sessions d’exercices et lors des examens, je souffre avec eux…»
Le fait qu’elle ait travaillé d’arrache-pied au sein de la Swiss National Covid-19 Science Task Force durant la pandémie ou qu’elle ait récemment mis au monde un enfant ne semble pas avoir vidé la réserve d’énergie de l’ancienne championne de foot. «Je souhaiterais contribuer à créer un outil à vocation pédagogique, qui pourrait profiter non seulement aux étudiants mais aussi à d’autres, par exemple des ONG ou des entreprises.» Concrètement, il s’agirait d’une plateforme sur laquelle «on pourrait jouer alternativement le rôle d’attaquant ou de défenseur» de la sécurité numérique. Si elle a renoncé au ballon rond il y a quelques années faute de temps, Carmela Troncoso a visiblement conservé son flair pour la tactique de jeu.