Un oxyde de fer abondant trace la voie d'une informatique durable

The iron oxide compound hematite is more environmentally friendly than materials currently used in spintronics. © iStock

The iron oxide compound hematite is more environmentally friendly than materials currently used in spintronics. © iStock

Riche en fer et communément présente dans les roches et le sol, l’hématite s’avère posséder des propriétés magnétiques qui en font un matériau prometteur pour l’informatique ultrarapide de nouvelle génération.

Envoyer et stocker des données en utilisant des ondes magnétiques sans charge, appelées ondes de spin, plutôt que des flux d’électrons traditionnels. Telle est la prouesse réalisée en 2023 par une équipe du Laboratoire des matériaux magnétiques nanostructurés et magnoniques de l’EPFL (LMGN), dirigé par Dirk Grundler de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur. Les scientifiques ont eu recours à des signaux radiofréquences pour exciter suffisamment les ondes de spin et inverser l’état d’aimantation de minuscules nano-aimants. En passant de 0 à 1, par exemple, cela permet aux nano-aimants de stocker des informations numériques, procédé utilisé dans les mémoires des ordinateurs et plus largement dans les technologies de l’information et de la communication.

Ces travaux constituaient alors déjà un grand pas vers l’informatique durable, car l’encodage des données via des ondes de spin - dont les quasi-particules sont appelées magnons - pourrait éliminer la perte d’énergie, ou l’échauffement Joule, associée aux dispositifs à base d’électrons. Mais à ce moment-là, les signaux des ondes de spin ne pouvaient pas être utilisés pour réinitialiser les bits magnétiques afin d’écraser les données existantes.

L’hématite présente une toute nouvelle physique du spin, qui peut être exploitée pour le traitement du signal à ultra-haute fréquence. Et c’est un élément essentiel pour le développement de dispositifs spintroniques ultra-rapides, et leurs applications dans les technologies de l’information et de la communication de prochaine génération.

Dirk Grundler

Le laboratoire de Dirk Grundler publie aujourd’hui dans Nature Physicsdes résultats qui pourraient rendre possible un tel encodage répété. Plus précisément, les scientifiques, en collaboration avec des collègues de l’Université Beihang en Chine, rapportent un comportement magnétique sans précédent dans l’hématite. Ce composé d’oxyde de fer présent en abondance sur Terre est beaucoup plus écologique que les matériaux actuellement utilisés en spintronique.

«Ces travaux montrent que l’hématite n’est pas seulement un substitut durable à des matériaux établis comme le grenat yttrium-fer, détaille Dirk Grundler. Il présente une toute nouvelle physique du spin, qui peut être exploitée pour le traitement du signal à ultra-haute fréquence. Et c’est un élément essentiel pour le développement de dispositifs spintroniques ultra-rapides, et leurs applications dans les technologies de l’information et de la communication de prochaine génération.»

Deux modes magnoniques valent mieux qu’un

Cette découverte est survenue de manière inattendue. Ancien étudiant à l’EPFL, Haiming Yu, aujourd’hui professeur à l’Université Beihang, a détecté sur l’hématite des signaux électriques étranges provenant d’une bande de platine nanostructurée. Ces signaux, mesurés par Lutong Sheng, chercheur de la même équipe, ne ressemblaient à aucun de ceux observés sur des matériaux magnétiques conventionnels. L’équipe de Haiming Yu a alors décidé d’envoyer son appareil au professeur de l’EPFL pour analyse.

Deux modes magnoniques interférents créent une onde de spin (spirales rouges/bleues), injectant un courant de spin (sphères rouges/bleues avec flèches) dans une bande de platine intégrée (bleue). Les figures d’interférence sont détectées séparément par un faisceau laser (vert). La flèche courbe en haut montre que la polarisation résultante est contrôlée de manière dynamique. © Anna Duvakina/LMGN EPFL

En examinant les signaux magnoniques dans l’échantillon, le professeur remarque un mouvement de tortillement dans leur distribution spatiale. «Cette observation pointue a finalement conduit à la découverte d’une figure d’interférence, qui a constitué le tournant décisif de cette recherche», raconte Haiming Yu. En effet, grâce à la microscopie à diffusion de lumière, Anna Duvakina, doctorante au LMGN, a déterminé que les signaux électriques étranges dans l’échantillon d’hématite étaient liés à des figures d’interférence entre deux excitations d’ondes de spin distinctes appelées modes magnoniques.

D’autres matériaux magnétiques, comme le grenat yttrium-fer, ne produisent qu’un seul mode magnonique. Or, en avoir deux présente un avantage primordial: cela signifie que les courants de spin générés par les magnons pourraient basculer entre des polarisations opposées sur le même dispositif, et en retour faire basculer l’état d’aimantation d’un nano-aimant dans l’une ou l’autre direction. En théorie, cela ouvrirait la voie à un encodage et un stockage répétés des données numériques. Par la suite, les scientifiques espèrent tester cette idée en fixant un nano-aimant sur le dispositif à hématite.

«L’être humain connaît l’hématite depuis des milliers d’années, mais son magnétisme était considéré comme trop faible pour des applications standard. Aujourd’hui, il s’avère qu’elle est plus performante qu’un matériau qui a été optimisé pour l’électronique à micro-ondes dans les années 1950», affirme Dirk Grundler. «C’est toute la beauté de la science: on peut reconsidérer un ancien matériau que l’on trouve en abondance sur Terre, y trouver une application très opportune, et ainsi adopter une approche plus efficace et plus durable de la spintronique.»

Références

Sheng, L., Duvakina, A., Wang, H. et al. Control of spin currents by magnon interference in a canted antiferromagnet. Nat. Phys. (2025). https://doi.org/10.1038/s41567-025-02819-7


Auteur: Celia Luterbacher

Source: EPFL

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