Un outil pour analyser les problèmes d'écriture

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Près de 10% des élèves peinent à apprendre à écrire et voient leur cursus scolaire en être affecté. Des chercheurs de l’EPFL ont développé un programme qui analyse les difficultés de ces enfants et leurs causes avec une précision inégalée.

La difficulté à apprendre l'écriture, qui touche près de 10% des élèves, est appelée dysgraphie. Si elle est souvent associée à la dyslexie, elle se manifeste à des degrés et pour des raisons qui peuvent être très différentes d’une personne à l’autre. C’est pourquoi une équipe du Laboratoire d'ergonomie éducative de l’EPFL (CHILI Lab) a eu l’idée de développer un programme numérique qui permet non seulement d’en faire un diagnostic fin et individualisé, mais également de repérer avec une grande précision les lettres ou les chiffres problèmatiques et donc discriminants. Il a récemment fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Digital Medicine.

La maîtrise de l’écrit est indispensable dans la vie quotidienne des élèves. Mais elle exige un savant mélange d’attention, de motricité fine et de bonne compréhension linguistique, qui n’est pas toujours au rendez-vous. S’ils ne sont pas détectés et traités suffisamment tôt, les problèmes d’écriture, aussi bénins soient-ils au départ, peuvent rapidement avoir un effet boule de neige, entraînant des pertes de confiance et d’estime de soi, un manque de disponibilité pour d’autres apprentissages, une grande fatigue, voire même des troubles du comportement. Un diagnostic précoce est donc essentiel.

Actuellement, la dysgraphie est diagnostiquée à l’aide d’un test standardisé d’évaluation de la qualité de l’écriture, appelé BHK. Il consiste à faire rédiger un texte par l’élève, qui est ensuite analysé selon 13 critères par des ergothérapeutes ou des psychomotriciens. Or, selon Thibault Asselborn, doctorant au CHILI Lab et premier auteur de l’étude, ce test est limité: «Cette façon de procéder, qui repose uniquement sur l’œil des thérapeutes, comprend forcément une part de subjectivité. De plus, il y a souvent un laps de temps important - six mois ou plus - entre les préoccupations initiales concernant l’écriture d’un enfant et la possibilité de consulter un spécialiste.»

Plus de 50 paramètres analysés

Appelé Tegami, le test développé à l’EPFL, mené à l’aide d’une tablette numérique tactile, offre un énorme avantage en termes de précision d’analyse et d’informations. Il a été mis au point sur la base d’échantillons d’écriture recueillis auprès de 300 enfants. Environ un quart d’entre eux présentait des problèmes de dysgraphie, qui ont pu être correctement détectés par ce nouveau programme dans 98% des cas.

Surtout, ce système permet d’affiner grandement la recherche des causes de ces dysgraphies grâce à la prise en compte de plus de 53 paramètres différents et à des données enregistrées jusqu’à 200 fois par seconde durant le test. Ces critères comprennent notamment l’inclinaison du stylo, son degré de pression sur la tablette, la vitesse générale d’écriture et ses variations au fil du texte, la présence de tremblements et leur fréquence ou encore quels caractères ou gestes sont les plus discriminatifs.

Exemple d'échantillon d'écriture provenant d'un enfant dysgraphique.

Perspective dynamique

«Cet outil ajoute une perspective dynamique à l’évaluation de l’écriture, explique Thomas Gargot, pédopsychiatre, spécialiste en sciences cognitives, doctorant en informatique à la Pitié Salpêtrière à Paris et co-auteur de l’étude. Le test traditionnel ne donne au thérapeute qu’un tracé terminé. Avec Tegami, il voit également tout le processus dans le temps et obtient des informations extrêmement claires et complètes sur tous les gestes accomplis.»

Selon ce spécialiste, le programme ouvre aussi des portes en matière de classification des différentes formes de dysgraphie. Les données inédites ainsi offertes permettront en effet d’observer s’il existe des pathologies d’écriture selon que les enfants sont par exemple atteints d’autisme, de troubles de l’attention ou d’hyperactivité et de mieux comprendre comment adapter l’apprentissage en fonction de ces difficultés particulières.

Tegami devrait encore permettre de mieux cibler l’accompagnement des élèves. Les chercheurs travaillent maintenant en collaboration avec des psychomotriciens et des orthophonistes à l’établissement de moyens de remédiation: si l’on détecte par exemple chez un enfant des problèmes d'écriture dus à des changements trop prononcés de pression du stylo, des exercices de motricité bien précis pourraient ainsi lui être prescrits. Les scientifiques étudient également la possibilité de coupler ce programme avec un autre, nommé CoWriter, lui aussi développé par le CHILI Lab. Celui-ci consiste à utiliser un robot qui aide l'enfant à améliorer ses compétences et son estime de soi en lui demandant de lui apprendre à écrire.

Références

"Automated human-level diagnosis of dysgraphia using a consumer tablet", Thibault Asselborn, Thomas Gargot, Łukasz Kidziński, Wafa Johal, David Cohen, Caroline Jolly, Pierre Dillenbourg. Publié dans Nature Digital Medicine.