Un nouvel état dans un matériau quantique

L’aimant de 25,9 teslas et le spectromètre de neutrons du centre de recherche du Helmholtz-Zentrum Berlin. Crédit: Ellen Fogh (EPFL)

L’aimant de 25,9 teslas et le spectromètre de neutrons du centre de recherche du Helmholtz-Zentrum Berlin. Crédit: Ellen Fogh (EPFL)

Des scientifiques de l’EPFL ouvrent de nouvelles perspectives dans le domaine de la physique quantique. Ils révèlent un comportement mystérieux et unique d’un matériau magnétique quantique et laissent entrevoir de futures avancées technologiques.

Dans le monde mystérieux des matériaux quantiques, on ne peut pas toujours prévoir les comportements. Ces matériaux présentent des propriétés uniques régies par les règles de la mécanique quantique. Cela signifie la plupart du temps qu’ils peuvent accomplir des tâches que les matériaux traditionnels ne peuvent pas faire, comme conduire l’électricité sans perte, ou avoir des propriétés magnétiques potentiellement utiles dans les technologies de pointe.

Des magnons dans les matériaux quantiques

Certains matériaux quantiques sont traversés par de minuscules ondes magnétiques appelées magnons, qui se comportent de manière intrigante. Comprendre les magnons nous aide à percer les secrets du fonctionnement des aimants à un niveau microscopique, ce qui est indispensable pour la prochaine génération d’appareils électroniques et d’ordinateurs.

Les scientifiques ont étudié le comportement de ces magnons sous des champs magnétiques puissants et pensaient savoir à quoi s’attendre... jusqu’à aujourd’hui. Dans une récente étude, des chercheuses et chercheurs sous la houlette de Henrik Rønnow et de Frédéric Mila de l’EPFL ont révélé l’existence d’un nouveau comportement inattendu du matériau quantique borate de strontium et de cuivre, SrCu2(BO3)2. Cette étude remet en question notre compréhension actuelle de la physique quantique, mais laisse également entrevoir des possibilités intéressantes pour les technologies futures.

Le seul exemple connu

Mais pourquoi ce matériau? Les détails sont assez techniques. SrCu2(BO3)2 est important dans le domaine des matériaux quantiques car il est le seul exemple réel connu du «modèle de Shastry-Sutherland», un cadre théorique permettant de comprendre les structures où la disposition et les interactions des atomes les empêchent de s’installer dans un état simple et ordonné.

Ces structures sont appelées «réseaux hautement frustrés» et confèrent souvent au matériau quantique des comportements et des propriétés complexes et inhabituels. Ainsi, la structure unique de SrCu2(BO3)2 en fait un candidat idéal pour l’étude des phénomènes quantiques complexes et des transitions.

Diffusion neutronique et champs magnétiques massifs

Pour étudier les magnons dans SrCu2(BO3)2, les scientifiques ont utilisé une technique appelée diffusion neutronique. En bref, ils ont envoyé des neutrons sur le matériau et ont mesuré leur déviation sur celui-ci. La diffusion neutronique est particulièrement efficace pour étudier les matériaux magnétiques, car les neutrons, de charge nulle, peuvent déchiffrer le magnétisme sans être perturbés par la charge des électrons et des noyaux dans le matériau.

Ces travaux ont été réalisés sur l’installation de diffusion neutronique à haut champ du Helmholtz-Zentrum Berlin, qui a pu sonder des champs allant jusqu’à 25,9 teslas. Ce niveau d’étude des champs magnétiques est sans précédent et a permis aux scientifiques d’observer directement le comportement des magnons.

Ils ont ensuite combiné les données avec des calculs «matrice cylindrique-produit-états». Cette méthode de calcul performante a permis de confirmer les observations expérimentales de la diffusion neutronique et de comprendre les comportements quantiques bidimensionnels du matériau.

Une danse à deux

Cette approche unique a révélé quelque chose de surprenant: au lieu de se comporter comme des éléments uniques et indépendants, comme on s’y attendait, les magnons du matériau s’associaient, formant des «états liés», comme si l’on se mettait à deux pour danser au lieu de faire cavalier seul.

Cette association inhabituelle conduit à un nouvel état quantique inattendu qui a des implications pour les propriétés du matériau: la «phase spin-nématique». Prenez les aimants sur un réfrigérateur: normalement, ils pointent vers le haut ou vers le bas (c’est la rotation), mais cette nouvelle phase ne concerne pas le sens vers lequel ils pointent, mais plutôt la manière dont ils s’alignent les uns avec les autres, créant un motif unique.

C’est une découverte passionnante. Elle montre un comportement des matériaux magnétiques jamais observé auparavant. Cette révélation d’une règle cachée de la physique quantique pourrait aboutir à de nouvelles façons d’utiliser les matériaux magnétiques pour les technologies quantiques que nous n’avons pas encore envisagées.

Autres contributeurs

  • Helmholtz-Zentrum Berlin für Materialien und Energie
  • Rutherford Appleton Laboratory
  • Comprehensive Research Organization for Science and Society (Japon)
  • Institut Paul Scherrer
  • Université Carnegie Mellon au Qatar
  • Kyoto University
  • Université du Tōhoku
Financement

Synergy network HERO du Conseil Européen de la Recherche (CER)

Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS)

Fondation Qatar

Références

Ellen Fogh, Mithilesh Nayak, Oleksandr Prokhnenko, Maciej Bartkowiak, Koji Munakata, Jian-Rui Soh, Alexandra A. Turrini, Mohamed E. Zayed, Ekaterina Pomjakushina, Hiroshi Kageyama, Hiroyuki Nojiri, Kazuhisa Kakurai, Bruce Normand, Frédéric Mila, Henrik M. Rønnow. Field-induced bound-state condensation and spin-nematic phase in SrCu2(BO3)2 revealed by neutron scattering up to 25.9 T. Nature Communications 10 January 2024. DOI: 10.1038/s41467-023-44115-z