Un modèle pour mieux estimer la fracturation hydraulique
Un modèle de calcul de la propagation des fractures hydrauliques développé à l’EPFL vient d’être reconnu pour sa précision par des experts du domaine. Il vise à améliorer la prédiction de la géométrie des fractures et le coût énergétique de cette technique utilisée par exemple dans le stockage de CO2, l’extraction d’hydrocarbures et la surveillance des barrages et des volcans.
Les ingénieurs utilisent la fracturation hydraulique dans de multiples domaines. Elle sert par exemple à améliorer la productivité des puits permettant l’extraction ou l’injection de fluides dans les roches poreuses. C’est aussi une opération de routine lors de la production d’hydrocarbures et de ressources géothermiques en eaux profondes ainsi que lors du stockage de CO2 en sous-sol. Les ingénieurs l’utilisent également pour remettre à niveaux des bâtiments, faciliter la production minière par gravité, augmenter la sécurité dans les galeries profondes et prévenir les risques de fissures autour des barrages. Ce type de fractures se propagent aussi naturellement lors de remontées magmatiques autour des volcans, ainsi qu’à la base des glaciers, lors de la fonte des glaces.
La fracturation hydraulique consiste à fissurer une roche en sous-sol en y injectant du liquide sous haute pression. «Nous voulions proposer une fois pour toutes un modèle qui réduise les incertitudes liées à l’apparition de la turbulence lorsque le fluide utilisé est peu visqueux, tout en offrant un outil en open source», explique en préambule Brice Lecampion, directeur du Laboratoire de Géoénergie de l’EPFL. Son étude, co-écrite avec le chercheur Haseeb Zia, est parue en octobre 2019 dans le Journal of Fluid Mechanics. La revue Focus on Fluids, le Graal dans le secteur de la mécanique des fluides, vient d’en publier une version longue et commentée par un expert dans son édition de janvier. Une forme de reconnaissance de la pertinence du modèle développé par l’EPFL.
Sécurité et dépense énergétique
Afin d’injecter ou produire des fluides profonds, les industriels forent un puits d’environ 10 centimètres de diamètre, qui atteint régulièrement de 2 à 3 kilomètres de profondeur. Ce puits sert dans un premier temps à injecter un mélange d’eau et de sables pendant 30 à 45 minutes, pour créer des fractures pouvant atteindre jusqu’à 500 mètres de longueur et 100 mètres de hauteur. Le sable agit comme soutènement afin que les fractures créées servent de conduits hydrauliques entre le puits et la roche. La moitié de l’eau injectée est généralement récupérée, filtrée et réinjectée lors d’une autre phase de pompage. L’autre moitié reste dans la roche poreuse.
Pouvoir calculer la vitesse de propagation de ces fractures est essentiel pour dimensionner de manière optimale la quantité de liquide à injecter et estimer les géométries – soit la longueur des fractures – qui en résultera. Ces précisions permettent également de sécuriser le processus et d’en évaluer la dépense énergétique.
Schéma d'extraction de gaz. © iStock
Améliorer les prédictions
Dans le cas par exemple de l’extraction de gaz de schiste, le liquide injecté est composé de 99% d’eau et de 1% de polymère («friction reducer additive»). Cet additif modifie drastiquement la transition vers la turbulence, les chaînes de polymères offrant une résistance qui permet d’annihiler l’apparition des tourbillons. Cet ajout réduit donc fortement l’énergie nécessaire au pompage sous très haut débit et est actuellement largement utilisé. En revanche, son effet sur la propagation des fractures restait jusqu’alors non quantifié.
«Notre étude montre que l’ajout de polymère modifie significativement le régime de propagation en conditions de turbulence. En revanche, l’effet agit uniquement durant les 5-6 premières minutes du pompage et ne change qu’assez peu les dimensions finales des fractures», détaille Brice Lecampion. Le modèle développé par l’EPFL permet ainsi de prédire avec plus de précision la taille des fractures créées et donc, les volumes et débits de fluide qui pourront être échangés avec la roche. «La mise à disposition d’un tel modèle en open source est rare», précise encore le chercheur, «car le secteur est majoritairement occupé par des industriels qui gardent sous clé leurs propres calculs et évaluations.»
Emmanuel Detournay, ”Slickwater hydraulic fracturing of shales”, Focus on Fluids, January 2020.