Un mini laboratoire biomédical sous la peau du patient
Des chercheurs de l’EPFL mettent au point un implant capable d’analyser en direct les substances présentes dans notre corps. Un module radio transmet les résultats au médecin via le réseau cellulaire. Cette prouesse de miniaturisation pourrait notamment permettre un meilleur suivi des patients sous chimiothérapie.
Le corps est une véritable usine chimique. Parmi les milliers de substances qu’il produit et charrie à travers la circulation sanguine, certaines servent d’indicateur de l’état de santé. Des chercheurs de l’EPFL ont mis au point un minuscule implant capable d’analyser leur concentration. Logé sous la peau, le dispositif détecte simultanément jusqu’à cinq protéines ou acides organiques. Il transmet en direct les résultats sur l’ordinateur du médecin. Une solution qui permettra un suivi plus personnalisé que les traditionnelles analyses sanguines. Cette petite révolution pourrait permettre aux praticiens de mieux accompagner leurs patients, notamment lorsque ces derniers souffrent de maladie inflammatoire chronique ou suivent une chimiothérapie. Encore expérimental, le prototype a démontré sa fiabilité pour la détection de plusieurs substances couramment traquées en médecine. Ce travail fait l’objet d’une publication ainsi que d’une présentation, le mercredi 20 mars, dans le cadre de la plus grande conférence européenne d’électronique, DATE 13.
Quelques millimètres cube de technologie, alimentée en énergie depuis l’extérieur
Mis au point par l’équipe de Giovanni de Micheli et Sandro Carrara, le dispositif est un véritable concentré de technologie. Sur un implant de quelques millimètres cube, les chercheurs sont parvenus à intégrer cinq capteurs, un transmetteur radio ainsi qu’un système d’alimentation. A même l’épiderme, un patch muni de batteries transmet le dixième de watt nécessaire au fonctionnement de l’implant, à travers la peau du patient - nul besoin d’opérer le patient pour changer une batterie.
Les informations transitent par toute une série d’étapes, du corps du patient à l’ordinateur du médecin. L’implant émet des ondes radio sur une fréquence inoffensive, explique Giovanni de Micheli. Le patch récolte ces données, et les transmet par Bluetooth à un téléphone portable, qui les fait parvenir au médecin via le réseau de téléphonie mobile.
Un système capable de détecter de très nombreuses substances
Les capteurs ont demandé un soin tout particulier. Leur surface est recouverte d’une enzyme, à même de capturer la substance visée dans le corps du patient – lactate, glucose, adénosine triphosphate… «Potentiellement, nous pourrions détecter plusiers substances, explique Giovanni De Micheli. Mais les enzymes ont une durée de vie limitée, et il faut les concevoir pour qu’elles survivent le mieux possible à l’usure du temps.» Pour l’heure, les enzymes testées résistent environ un mois et demi – un laps de temps d’ores et déjà suffisant pour nombre d’applications. «En outre, il est très simple de retirer ou de remplacer l’implant, vu sa petite taille.»
Autre défi de taille, la partie électronique. «Ce n’était pas évident de faire fonctionner un tel système avec seulement un dixième de watts de puissance.» Les chercheurs ont également transpiré sur la minuscule bobine permettant de recevoir l’énergie électrique du patch.
Un pas significatif vers la chimiothérapie personnalisée
Ce système pourrait s’avérer extrêmement intéressant dans le cadre des chimiothérapies. Pour évaluer la tolérance des patients au traitement, les oncologues procèdent notamment à des analyses sanguines ponctuelles. Dans de telles conditions, il est extrêmement délicat d’administrer le meilleur dosage possible. Pour Sandro Carrara, ce système est un pas supplémentaire vers une médecine plus personnalisée. «Il permettra un suivi en direct et en continu, basé sur la tolérance propre au patient, et non uniquement sur des tabelles d’âge et de poids ou des analyses hebdomadaires.»
Dans le domaine des maladies chroniques également, les implants pourraient permettre de donner l’alarme avant même les premiers symptômes, et d’anticiper la prise de médicaments. «De manière générale, notre système a un potentiel considérable dans de très nombreux cas, où il faut contrôler l’évolution d’une pathologie ou la tolérance à une thérapie.»
Le prototype a d’ores et déjà été testé en laboratoire pour cinq substances différentes. Il a démontré une fiabilité comparable aux méthodes d’analyse traditionnelles. Le projet a réuni électroniciens, informaticiens, médecins et biologistes de l’EPFL, de l’Istituto di Ricerca di Bellinzona, de l’EMPA et de l’ETHZ. Il s’inscrit dans le cadre du programme suisse Nano-Tera, dont le but est précisément de favoriser la recherche interdisciplinaire dans les domaines de l’environnement ou de la santé. Les chercheurs espèrent voir les premiers transferts de technologie sur le marché d’ici à 4 ans.