Un microscope à illumination structurée à faire soi-même

© 2023 LBMI

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Obtenir des images de cellules, comme d’organoides ou d’embryons en 3D, en ajoutant un dispositif à fabriquer soi-même sur un microscope optique pour en faire un microscope à super-résolution: des scientifiques de l’EPFL expliquent comment faire.

Durant plusieurs centaines d’années, les scientifiques ont dû se contenter d’observer de l’extérieur les mouvements des cellules, bactéries ou levures à travers leurs microscopes optiques. La barrière de la diffraction de la lumière rendant les images des objets inférieurs à une centaine de nanomètres floues et inutilisables semblait infranchissable. Ce seuil a finalement été dépassé il y a une quinzaine d’années avec la microscopie à super-résolution, permettant ainsi de plonger au cœur d’échantillons vivants et de percevoir par exemple le comportement des organelles, les interactions des cellules avec des virus, des protéines ou des molécules médicamenteuses. L’une des méthodes développées, la microscopie à illumination structurée, offre une résolution et un contraste exceptionnels en 3D tout en assurant une faible exposition aux photons : des avantages très précieux pour de nombreuses recherches. Malgré le développement des microscopes électroniques, qui permettent d’atteindre une résolution de l’ordre du nanomètre, l’imagerie optique reste incontournable dans le domaine des sciences de la vie : il permet l’utilisation des différents outils disponibles et la possibilité d’observer des échantillons vivants dans des conditions leur permettant de se développer normalement. Les microscopes à illumination structurée restent cependant très onéreux et pas toujours accessibles. Des scientifiques du Laboratoire pour la bio et nano-instrumentation (LBNI) de l’EPFL ont développé un dispositif permettant de transformer à bas coût, avec du matériel disponible dans le commerce, leur microscope optique en un appareil à haute résolution. Le mode d’emploi détaillé de cette ingénieuse extension est maintenant en libre accès, accompagné de vidéos explicatives.

Un microscope compact, constructible et utilisable par des non-spécialistes

La microscopie à illumination structurée (SIM) améliore la résolution en reconstruisant les hautes fréquences spatiales qui sont habituellement les zones floues lorsque les microscopes optiques standards atteignent leur limite. Ce procédé double la résolution et donne accès à l’observation d’éléments allant jusqu’à 100 nanomètres. L’échantillon est soumis à des schémas d’illumination connus, par exemple des grilles. Sur la base d’images prises avec différents schémas, des algorithmes permettent de reconstruire l’image de l’objet avec une résolution améliorée grâce à l’effet moiré.

C’est en 2019, lorsqu’une doctorante, Mélanie Hannebelle aurait eu besoin d’un tel appareil que l’idée d’en fabriquer un a germé au Laboratoire pour la bio et nano-instrumentation au sein de l'Institut interfacultaire de bioingénierie (IBI) de la de la faculté STI. La chercheuse a donc planché sur un dispositif maison. Des systèmes avaient déjà été élaborés par d’autres laboratoires sur d’imposantes tables dotées de composants optiques, mais ces installations sont difficilement reproductibles. L’objectif de la doctorante était d’en faire un instrument compact, constructible et utilisable par des non-spécialistes, tout en ne nécessitant pas un coûteux entretien. « Nous avons utilisé des composants de l’industrie électronique qui servent à faire des projecteurs vidéo, du même type que ceux des salles de classe, que nous avons transformés et arrangés pour qu’ils projettent une structure lumineuse sur l’échantillon », explique Georg Fantner, professeur au LBNI.

Illustration de l'effet de sectionnement optique avec l'openSIM. Sur l'image grand champ, la lumière hors foyer est visible dans l'image alors que sur l'image openSIM, seule la partie de l'échantillon directement mise au point est visible. Échantillon : organoïdes intestinaux fixes de souris marqués pour la E-cadhérine. © 2024 LBNI

Validé par des chercheurs en sciences de la vie

Afin de savoir si le potentiel de ce microscope upgradé dépasse l’ingénieuse idée de spécialiste, les scientifiques ont proposé à des laboratoires en science de la vie de l’École de le tester. Une communauté locale s’est rassemblée autour du projet : ils ont fait équipe avec les groupes des professeurs Andrew Oates, Matthias Lutolf, John McKinney et Aleksandra Radenovic pour tester l'instrument sur des échantillons de recherche réels. « Les scientifiques nous ont apporté leurs questions et leurs échantillons en nous expliquant leurs besoins. Nous avons élaboré une planification pour voir comment cet instrument les aiderait dans leurs recherches », se souvient le professeur. Les feedbacks ayant été concluant, l’obtention d’un financement de l’Open Science Initiative de l’EPFL a permis de travailler sur la manière de mettre ces résultats au service de tous. En faire un système reproductible, avec des explications suffisamment précises pour que les scientifiques qui s’y attèlent et ne perdent pas patience avant de l’avoir achevé, a également représenté un travail minutieux et chronophage. Une autre doctorante, Esther Raeth, s’est donc attelée à documenter les références, synthétiser le matériel nécessaire et la manière de l’assembler via un site internet et des vidéos. « Avec notre système, le seul objet préalable nécessaire est un microscope optique de bonne qualité, mais la plupart des laboratoires en possèdent un », souligne le professeur.

L'OpenSIM ne vise pas à concurrencer des instruments plus sophistiqués : il connait certaines limites par rapport à ses congénères du commerce comme un contraste de modulation réduit et donc un potentiel de résolution inférieur -le gain d'efficacité est multiplié par 1,7 par rapport à un gain théorique de 2 fois- mais l’objectif utile est atteint : donner un accès suffisant à cette technologie à des laboratoires qui font peu de recherches le nécessitant ou qui n’ont pas les moyens d’acquérir un microscope à illumination structurée dont le coût dépasse le demi-million de francs. Le LBNI poursuit ses efforts pour diffuser le plus largement possible son travail et rassembler une communauté d’utilisateurs qui pourront partager leurs expériences. « Depuis que notre article est paru sur le site BioRxiv.org, j’ai reçu de nombreux messages de personnes qui trouvent l’idée très intéressante et qui cherchent des informations sur la manière de construire leur propre appareil», conclut Georg Fantner.

Financement

L’initiative open science de l’EPFL propose des fonds pour des projets qui créent des outils innovants, mettent en place une infrastructure essentielle et cultivent une communauté qui adhère aux principes FAIR (trouvable, accessible, interopérable et réutilisable). https://www.epfl.ch/research/open-science/os-grants/

Références

Mélanie T. M. Hannebelle, Esther Raeth, Samuel M. Leitao, Tomáš Lukes, Jakub Pospíšil, Chiara Toniolo, Olivier F. Venzin, Antonius Chrisnandy, Prabhu P. Swain, Nathan Ronceray, Matthias P. Lütolf, Andrew C. Oates, Guy M. Hagen, Theo Lasser, Aleksandra Radenovic, John D. McKinney & Georg E. Fantner. Open-source microscope add-on for structured illumination microscopy. Nature communications 26 janvier 2024. DOI: https://doi.org/10.1038/s41467-024-45567-7