Un même gène pour former plusieurs organes

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Des scientifiques de l’EPFL et de l’Université de Genève ont trouvé comment de mêmes gènes régulés de façon identique pouvaient produire des organes différents, pendant l’embryogenèse. Cette découverte permet de mieux comprendre comment les gènes ont évolués et quels sont les mécanismes qui les régulent.

Certains gènes sont impliqués dans le développement du fœtus. Or, on sait qu’un même gène peut contrôler la formation de plusieurs parties du corps, par exemple les doigts et les parties génitales. Ces gènes sont par ailleurs régulés de la même façon. Comment font-ils pour déterminer la formation d’organes différents? Des chercheurs de l’EPFL et de l’Université de Genève ont découvert que des gènes impliqués dans le développement fœtal, appelés « Hox», sont régulés par une longue séquence d’ADN environnante. Celle-ci s’enroule autour des gènes Hox et les recouvre, ne permettant qu’à quelques-uns d’être actifs à un temps donné.

En 2001, l’une des plus grandes révélations du séquençage du génome humain indiquait que, malgré la complexité de notre corps, nous ne disposons pas de davantage de gènes que des animaux plus simples, comme les vers. Les gènes des mammifères sont en effet réutilisés plusieurs fois pour des tâches diverses. Ce constat vaut surtout pour les gènes qui régulent le développement du fœtus, comme la famille des «Hox». Ce groupe est constitué de 39 gènes, qui produisent le plan d’organisation du corps de l’animal en définissant l’emplacement des segments au début du développement embryonnaire. En d’autres termes, les gènes Hox décident du positionnement de chacune des parties du corps.

Ces gènes sont regroupés dans l’ADN cellulaire et entourés par de longues séquences d’ADN qui ne contiennent aucun gène. Toutefois, ces espaces sont loin d’être vides. Ils comportent des séquences qui se lient avec les gènes Hox, afin de les réguler. Ces derniers étant à l’origine de tissus et organes différents, on peut se demander s’ils sont contrôlés d’une manière identique.

Une équipe de scientifiques de l’EPFL et de l’UNIGE, menée par Denis Duboule, a démontré que ce sont ces longues séquences d’ADN qui permettent aux gènes Hox de s’exprimer dans de multiples tissus du fœtus, et de produire ainsi différents organes du corps en développement. Les chercheurs appellent ces séquences d’ADN des «archipels régulateurs» et les petites séquences régulatrices des «îles». L’idée est que l’archipel se replie sur le groupe de gènes Hox et s’y lie grâce à ses «îles». Il se déplace ensuite subtilement pour activer les gènes Hox nécessaires au développement d’un tissu ou d’un organe spécifique.

Lorsque l’archipel recouvre les gènes Hox, il forme un complexe d’ADN qui est contrôlé par les signaux chimiques provenant des cellules environnantes. Ces signaux agissent sur la structure tridimensionnelle du complexe d’ADN. Bien que subtiles, ces modifications structurelles déterminent quelles combinaisons de gènes Hox vont s’exprimer à chaque moment donné. Ainsi, les mêmes gènes Hox peuvent réguler diverses structures du corps.

Nicolas Lonfat, auteur principal, s’est concentré sur un membre de la famille des gènes Hox, Hoxd-13, qui contrôle le développement des doigts et parties génitales des souris. Il a découvert deux séquences « îles » d’ADN, l’une interagissant avec Hoxd-13 uniquement dans les doigts, l’autre dans les parties génitales. Il a pu ainsi relier chaque « île » avec la partie du corps qu’elle contrôle.

Cette découverte aura des conséquences cruciales pour notre compréhension de l’évolution de la régulation des gènes. «Les quadrupèdes sont relativement tardifs sur l’échelle de l’évolution, explique Denis Duboule. C’est comme si la nature avait piraté certains gènes afin de créer des doigts et des parties génitales.» En outre, cette étude aide à comprendre comment les maladies congénitales et les déformations apparaissent, notamment le syndrome palmo-plantaire, qui est le résultat d’une régulation incorrecte du gène Hox. «L’archipel régulateur est un mécanisme extrêmement précis qui rend la cellule ultra efficace. En contrepartie, il est très fragile et susceptible de faire des erreurs.»

Les chercheurs pensent que ce type de contrôle ne se limite pas aux gènes du développement et pourrait s’étendre, avec des variantes, à tous les gènes dits «pléiotropes», c’est à dire qui déterminent plusieurs caractéristiques physiques.

Cette étude est une collaboration entre l’EPFL et l’Université de Genève.

Source

Lonfat N, Montavon T, Darbellay F, Gitto S, Duboule D. Convergent evolution of complex regulatory landscapes and pleiotropy at Hox loci. Science


Auteur: Nik Papageorgiou

Source: EPFL