Un matériau révolutionnaire pour l'électronique de demain

© Jamani Caillet / EPFL

© Jamani Caillet / EPFL

Les propriétés extraordinaires du dioxyde de vanadium (VO2) en font un candidat de choix pour dépasser les limites du silicium et développer de nouveaux dispositifs électroniques à faible consommation. Le projet de recherche Phase Change Switch (https://phasechange-switch.org/ ), financé par le programme cadre H2020 de la Commission Européenne et coordonné par des chercheurs de l’EPFL, vient pour de démontrer la possibilité de réaliser de fonctions électroniques programmables en radiofréquence pour des communications aéronautiques ou spatiales. D’autres applications en calcul neuromorphique et intelligence artificielle sont à venir.

Il y avait d’abord le commutateur. Puis le transistor. Arrive aujourd’hui un matériau potentiellement révolutionnaire pour réguler le flux des électrons dans un circuit : le dioxyde de vanadium (VO2). L’une de ses caractéristiques principales est d’être isolant à température ambiante, et de devenir conducteur dès qu’il dépasse les 68°C. Ce phénomène, nommé « commutation par changement de phase » (phase-change switch), fait l’objet d’un vaste projet de recherche européen, inscrit dans le programme Horizon 2020. L’EPFL en a obtenu la coordination, au terme d’une procédure extrêmement sélective.

L’important potentiel d’applications explique pourquoi le consortium du projet Phase-Change Switch, qui durera jusqu’en 2020 avec un financement européen à hauteur de 3,9 millions d’euros, compte dans ses rangs deux grandes entreprises – Thales (France) et IBM Research (Suisse). Elles s’ajoutent aux partenaires académiques que sont l’EPFL, la Max-Planck-Gesellschaft (Allemagne) et l’Université de Cambridge (Grande Bretagne), ainsi qu’à AMO Gesellschaft für Angewandte Mikro- und Optoelektronik GmbH, une spin-off dédiée à la recherche de l’université d’Aix-la-Chapelle (Allemagne).

Le défi: augmenter la température
Bien que connues de longue date, les propriétés électroniques du VO2 n’ont pu être expliquées que récemment. L’augmentation de la température opère une réorganisation des atomes au sein du matériau. De cristallin à froid, il devient métallique lorsque la température de 68°C est atteinte. L’avantage étant que cette transition s’opère extrêmement vite, en moins d’une nanoseconde. « Le matériau est également sensible à d’autres paramètres susceptibles de le faire changer d’état, précise Adrian Ionescu, professeur à l’EPFL, responsable du Laboratoire de dispositifs nanoélectroniques (Nanolab) et coordinateur du projet H2020 « Phase-Change Switch ». On peut ainsi provoquer le changement de phase soit par une action sur la température, soit par l’application d’une tension électrique, ou encore par l’émission d’une onde radio dans les fréquences térahertz ».

Jusqu’à ce jour, l’exploitation des propriétés du VO2 se heurtait toutefois à un écueil : cette température de transition ne se prête guère aux applications microélectroniques, dont les circuits doivent pouvoir atteindre les 100°C sans dysfonctionner. Or, en juillet 2017, le Journal of Applied Physics publiait les résultats d’une étude codirigée par deux chercheurs de l’EPFL, Adrian Ionescu (faculté STI) et Andreas Schüler (faculté ENAC), qui démontrent que l’adjonction de germanium aux films de VO2 permet de faire grimper la température du changement de phase à plus de 100°C.

Plus intéressants encore, et particulièrement prometteurs dans le domaine des applications radiofréquences, de nouveaux résultats du Nanolab sont publiés ce 2 février 2018 dans la revue IEEE Access. En première mondiale, les chercheurs sont parvenus à réaliser des filtres de fréquence modulables ultra-compacts, toujours basés sur la technologie de la commutation par changement de phase et le dioxide de vanadium, et efficaces dans une gamme de fréquences cruciale pour le développement de systèmes de communication dédiés à l’espace (bande de fréquence Ka, modulation programmable entre 28,2 et 35 GHz).

Processeurs neuromorphiques et véhicules autonomes
Ces nouveaux résultats, très encourageants, sont de nature à stimuler la recherche d’applications pour le dioxyde de vanadium dans le développement de dispositifs électroniques à ultra-faible consommation d’énergie. Outre la communication dans l’espace, des débouchés s’esquissent déjà du côté de l’informatique neuromorphique ainsi que pour la mise au point de radars à hautes fréquences pour les véhicules autonomes.