«Un incroyable hôpital communautaire sud-africain»

Critically ill patient waiting for emergency room care © 2021 Mary Anne Hartley / EPFL

Critically ill patient waiting for emergency room care © 2021 Mary Anne Hartley / EPFL

Chercheuse à l'EPFL, Mary-Anne Hartley est actuellement médecin bénévole dans un hôpital rural d’Afrique du Sud. Entourée par la faune et la brousse, elle semble loin de son travail faisant appel aux toutes dernières technologies de l’intelligence artificielle pour identifier les formes de COVID dans les images pulmonaires. Pourtant, c’est exactement ce qu’elle est allée faire là-bas.

La médecine rurale est un mélange imprévisible et passionnant de disciplines, de limites et d’absurdités qui requiert flexibilité, créativité et bonne humeur pour passer une journée «classique» en tant que médecin. Et ce n’est pas plus le cas que dans un hôpital isolé et sous-équipé dans la province sud-africaine de Mpumalanga, non loin du parc national Kruger et de la frontière avec le Mozambique.

Depuis un mois, une petite cabane dans une réserve naturelle près de l’hôpital Tintswalo est le lieu de résidence de Mary-Anne Hartley, docteure de l’EPFL et responsable du groupe Intelligent Global Health (iGH), qui se situe au Laboratoire d’apprentissage machine et d’optimisation (MLO) de la Faculté informatique et communications.

Comptant sur un personnel médical très dévoué et compétent, l’hôpital est la seule option pour un demi-million de personnes dans la zone desservie, traitant environ 4 000 patients par mois. Il prend également en charge environ 50 cliniques environnantes et propose des services allant des lunettes aux amputations.

Son trajet quotidien ressemble parfois à une véritable aventure. «Parfois, je trouve des éléphants grincheux sur le pas de ma porte et je dois faire face aux embouteillages de phacochères pour arriver à l’heure au travail. Plus près de l’hôpital, c’est un jeu consistant à éviter les énormes nids-de-poule, les volailles sauvages, les émeutes occasionnelles et un nombre inquiétant de chiens errants», affirme Mary-Anne Hartley.

Il y a aussi eu des incidents évités de justesse: «J’ai récemment marché sur ce que je pensais être un serpent inoffensif. Il mesurait environ 50 cm de long seulement et était à peine plus épais qu’un pouce. Alors, je l’ai doucement chassé du chemin avec un bâton. S’opposant à l’idée de se déplacer, il gonfla son cou orange, ce qui l’identifia comme un Thelotornis, l’un des serpents les plus hémotoxiques de la planète... et contre lequel il n’existe aucun antivenin. J’ai retenu la leçon. Il ne faut pas se fier à la taille!»

A twig snake at the front door © 2021 Mary Anne Hartley / EPFL
A twig snake at the front door © 2021 Mary Anne Hartley / EPFL

En plus d’établir son étude de recherche sur l’imagerie pulmonaire artificiellement intelligente, comme dans tout autre hôpital, Mary-Anne Hartley voit principalement des patients atteints de cancers, d’insuffisance cardiaque et d’accidents vasculaires cérébraux. Mais ici, ils souffrent presque toujours de complications incluant un cocktail complexe de maladies tropicales qui pourraient pourtant être évitées, comme le VIH et la tuberculose. Certains jours, elle peut aider dans l’une des cliniques environnantes, gérée par une équipe restreinte d’infirmiers dévoués, qui sollicite un médecin pour s’occuper la journée de leurs patients plus gravement atteints incapables de se rendre à l’hôpital. «C’est un trajet cahoteux sur des chemins de terre jusqu’à un avant-poste où la file d’attente est plus longue que le périmètre de la clinique», explique-t-elle.

À l’origine, l’hôpital a été construit par des missionnaires à l’époque de l’apartheid. Il est entouré de bidonvilles ruraux denses qui n’ont pas d’eau courante ni d’électricité. La salle d’urgence n’est guère plus qu’un trou délabré dans le mur où une porte détruite est suspendue à une charnière et presque tout est cassé. Lorsqu’il pleut, le toit laisse filtrer de l’eau contaminée à l’amiante directement sur les patients et des couches de vinyle pourries composent le sol, ce qui est impossible à nettoyer.

Un thème commun est la débrouille: réparer des équipements semi-fonctionnels ou improviser des alternatives pour les stocks manquants. Chaque jour, les patients s’assoient dehors dans le caniveau sous un soleil de plomb et se préparent à une journée d’attente de 8 heures pour être vus en consultation. Des pattes de poulet frites sont vendues à travers la clôture à ceux qui peuvent se le permettre. 

Mais pour Mary-Anne Hartley, le plus choquant, c’est que l’hôpital n’a pas de système de tri: «C’est le diagnostic vital qui classe les patients dans des catégories de gravité codées par couleur – vert, jaune, orange, rouge – et c’est simplement parce qu’il n’y a pas d’infrastructure. Il n’est pas rare qu’un patient décède car son état s’est dégradé en attendant toute la journée au soleil derrière une file de patients aux symptômes moins sévères. Cela m’est arrivé et j’ai craqué.» 

Elle a lancé une collecte de fonds pour financer des rénovations urgentes afin de permettre la mise en œuvre d’un système de tri et une réorganisation structurelle majeure pour garantir des soins rationalisés – les deux sauveront des vies et feront toute la différence sur la situation sanitaire.

Mary-Anne Hartley tire principalement son inspiration des patients de l’hôpital qu’elle est toujours étonnée de trouver polis et reconnaissants pour le service qu’ils reçoivent, malgré les conditions déplorables. C’est une communauté, dit-elle, avec un riche héritage et une résilience rendue possible uniquement grâce à une vie de désillusion et de pauvreté écrasante.

«C’est profondément frustrant de travailler ici. Mais en même temps, j’attache une valeur à la frustration car elle stimule la créativité. C’est pourquoi j’aime faire du bénévolat ici. J’aime trouver des défis et la satisfaction de les relever.»

Mary-Anne Hartley a jusqu’à présent collecté des dons qui ont permis de réparer le sol, d’installer des rideaux et certains éléments de base du tri. Mais elle et l’équipe ont besoin de davantage de fonds pour le toit, les matelas et le matériel de survie tel que des aspirateurs et des moniteurs.

Vous pouvez regarder le blog sur les rénovations ici et apporter votre contribution ici.


Auteur: Tanya Petersen

Source: People