Un gène «architecte» peut être à l'origine d'une maladie osseuse rare
Des scientifiques de l’EPFL ont découvert que l’un des gènes qui orchestrent la formation des membres pendant le développement embryonnaire peut entraîner un trouble rare de la croissance osseuse s’il est exprimé trop tôt.
Les dysplasies mésoméliques constituent un groupe de maladies génétiques rares caractérisées par un raccourcissement extrême des os longs dans les bras et les jambes. Malgré plusieurs décennies de recherche sur ces affections, la cause exacte de la dysplasie mésomélique reste inconnue. «Cette affaire était un dossier non classé», explique Denis Duboule, professeur de génomique et génétique du développement à l’EPFL. Aujourd’hui, les chercheuses et les chercheurs du laboratoire du professeur Duboule ont peut-être enfin résolu l’énigme du développement de la dysplasie mésomélique.
Les analyses génétiques de personnes atteintes de dysplasie mésomélique ont révélé que beaucoup d’entre elles dont les os des avant-bras sont courts et courbés présentent en fait un réarrangement chromosomique impliquant la région porteuse du cluster de gènes HOXD. Les gènes de ce cluster sont activés pendant le développement embryonnaire dans différentes régions du corps pour indiquer aux cellules et aux tissus comment évoluer. Pourtant, d’après le professeur Duboule, aucun des individus étudiés n’avait de mutations des gènes HOXD eux-mêmes, ce qui suggère que les déformations des membres sont le résultat de mutations interférant avec la régulation de l’expression du gène HOXD au cours du développement précoce des membres.
Toutefois, il reste beaucoup d’incertitudes sur les mécanismes sous-jacents à la mauvaise régulation des gènes HOXD. L’étude de ces phénomènes chez l’être humain est difficile, c’est pourquoi Christopher Chase Bolt, post-doctorant au sein du laboratoire du professeur Duboule, s’est tourné vers les souris.
Dans l’ADN, les gènes HOX se suivent dans le même ordre que lors de leur expression dans un embryon en développement: d’abord, les gènes qui régulent la formation de l’épaule, ensuite, ceux qui orchestrent le développement du bras et enfin, ceux qui guident l’émergence de la main et des doigts. En travaillant sur la souris, Christopher Bolt a créé un réarrangement chromosomique qui inverse le sens du cluster HOXD.
Résultat: le dernier gène du cluster, HOX13, qui régule la formation de la main et des doigts, se trouve dans la position du gène qui orchestre généralement le développement de l’avant-bras. Les chercheurs ont constaté que les souris avec ce réarrangement chromosomique expriment le gène HOX13 plus tôt dans leur développement que les souris témoins et présentent une forme légère de dysplasie mésomélique. En effet, HOX13 signale que le membre a atteint la fin de son développement et que sa croissance doit cesser, explique Christopher Bolt, et donc, l’expression trop précoce du gène conduit à des membres extrêmement courts.
Ensuite, Christopher Bolt et ses collègues ont utilisé la technique de l’édition génomique CRISPR-Cas9 pour créer des souris qui avaient un cluster HOXD inversé mais sans le gène HOX13. Ces animaux ne présentaient aucune malformation des membres, ce qui suggère que la mauvaise régulation de l’expression du gène HOX13 est la principale responsable de la dysplasie mésomélique. «Si on inverse le cluster, HOX13 est exprimé dans l’avant-bras, ce qui entraîne une dysplasie mésomélique», explique le professeur Duboule. «Mais si on détruit le gène, le problème disparaît, le phénotype est en fait sauvé». Cette étude, publiée dans Nature Communications, est la première à montrer directement le rôle de la mauvaise régulation du gène HOX13 dans la dysplasie mésomélique.
Les gènes HOX sont remarquablement similaires parmi les animaux les plus disparates, des mouches des fruits aux souris en passant par les humains, cette découverte est donc importante pour de nombreuses personnes atteintes de dysplasie mésomélique. En effet, le mécanisme identifié offre une explication moléculaire pour tous les cas de dysplasies mésoméliques humaines impliquant des gènes HOX rapportés jusqu’à présent, reconnaît le professeur Duboule. «À présent, dès qu’un généticien rapporte ce type de dysplasies mésoméliques chez l’être humain, ce cadre conceptuel nous permet de l’expliquer», dit-il. «Pour nous, c’est une affaire classée».
Mais le travail du professeur Duboule se poursuit: son équipe cherche comment les gènes HOX sont contrôlés et comment leurs activités déterminent le point de départ et le point final d’un membre, soit, en d’autres termes, comment ces gènes «architectes» façonnent le corps.