«Un endroit où le dialogue entre la science et l'art s'épanouit»

Giulia Bini à l'exposition « Staring at the Sun » de l'artiste en résidence Alice Bucknell. © 2025 EPFL/Murielle Gerber - CC-BY-SA 4.0

Giulia Bini à l'exposition « Staring at the Sun » de l'artiste en résidence Alice Bucknell. © 2025 EPFL/Murielle Gerber - CC-BY-SA 4.0

Depuis 2021, l’historienne de l’art Giulia Bini est responsable et curatrice du programme d’artistes en résidence du CDH de l’EPFL, qu’elle a contribué à créer. En mai, elle prendra la tête du programme Arts at CERN.

Pouvez-vous expliquer brièvement le programme de résidence d’artistes «Enter the Hyper-Scientific» de l’EPFL?

Enter the Hyper-Scientific a été lancé par le Collège des Humanités comme une plateforme de collaboration entre artistes et scientifiques sur des projets artistiques. L’objectif est de favoriser les collaborations entre artistes et la communauté scientifique de l’EPFL. Il s'agit d’un programme basé sur la recherche et axé sur des projets, comprenant à la fois une phase de recherche et la présentation des œuvres qui en résultent lors d’expositions publiques à EPFL Pavilions.

D’où est venue l’idée de ce programme?

J’ai commencé à l’EPFL fin 2017. Je travaillais à l’époque avec Sarah Kenderdine, directrice d’EPFL Pavilions et des discussions étaient déjà en cours concernant la possibilité d’accueillir des artistes en résidence. Pour l’exposition Nature of Robotics: An Expanded Field en 2020–21, nous avons organisé une résidence avec les artistes Melissa Dubbin et Aaron S. Davidson. Cependant, en raison de la pandémie de Covid-19, la résidence a dû se dérouler à distance. Avant cela, nous avions accueilli Nora Al-Badri, puis Caroline Corbasson en tant que résidentes, toutes les deux invitées par le CDH. En août 2021, mon rôle a évolué : je suis passée d’EPFL Pavilions au CDH pour créer un nouveau programme d’artistes en résidence, soutenu par [l’ancien doyen] Béla Kapossy et l’actuel doyen Frédéric Kaplan, programme qui est devenu Enter the Hyper-Scientific.

D’où vient le nom du programme?

Le nom découle de ma perception personnelle de l’EPFL comme un véritable campus polytechnique, où la science prospère dans toutes les disciplines et domaines de recherche — de l’informatique et l’intelligence artificielle à la physique, la chimie, la robotique, la science des matériaux, les sciences de la vie, les humanités numériques, l’architecture. Il s'agit d'une vision de la science et de la technologie à 360 degrés. L’idée d’«hyper-science» a émergé en réponse à cette extraordinaire richesse scientifique et diversité transdisciplinaire sur le campus. Il était également important que le nom reflète l’idée du programme comme une entrée, un portail vers l’ensemble du spectre de la recherche scientifique menée à l’EPFL.

Comment vous êtes-vous intéressée au métier de commissaire d’exposition, à l’art et à l’histoire de l’art?

Dès l’enfance, je visitais des expositions et des musées avec mes parents. Plus tard, j’ai étudié l’histoire de l’art, l’art contemporain et fais des études curatoriales à Rome, Venise et Paris. J’étais attirée par la capacité de l’art à offrir une réflexion puissante sur notre monde et notre époque. Cet intérêt m’a naturellement conduite vers des pratiques expérimentales — notamment les médias temporels, les médias numériques et les pratiques sonores —, en particulier là où la technologie devient de plus en plus entremêlée avec la pratique artistique, ouvrant de nouvelles connexions avec les discours scientifiques et technologiques. J'ai ensuite approfondi ces nouvelles perspectives et ces champs théoriques au cours de mon doctorat. Je considère l’art comme un prisme qui permet d’observer, de questionner et d’interroger la société et notre époque, tout en proposant des visions alternatives. Dans ce contexte, la science et la technologie jouent un rôle fondamental pour nous aider à analyser et à comprendre le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, et imaginer des futurs spéculatifs.

Quelle a été votre expérience de travail à l’intersection entre l’art et la science?

Avant de rejoindre l’EPFL, j’ai travaillé au ZKM | Center for Art and Media Karlsruhe, l'une des principales institutions européennes pour l’art numérique et pour le dialogue entre les arts et les domaines de la science et de la technologie. À mon arrivée à l’EPFL, l’intégration de la science et des arts est devenue la mission d’EPFL Pavilions, puis, du programme Enter the Hyper-Scientific. À chaque étape, l’intersection entre l’art et la science a été explorée de manière plurielle, en engageant différents aspects de la recherche scientifique et un large éventail de démarches artistiques.

Comment choisissez-vous les artistes que vous invitez sur le campus?

Enter the Hyper-Scientific publie un appel à candidatures international annuel, avec un comité de sélection composé de membres de la direction du CDH et des entités de l’EPFL ainsi que d’experts externes issus du milieu culturel, dont la Ville de Lausanne, qui est devenue partenaire de la résidence en offrant un logement au sein de la coopérative culturelle La Meute. Nous cherchons à soutenir des projets visionnaires qui allient recherche artistique et véritable intérêt pour la recherche scientifique. Il est également essentiel que l’échange soit mutuellement enrichissant, tant pour les artistes que pour les scientifiques.

Quels ont été quelques-uns des moments forts du programme?

L’un des moments les plus forts a été d’avoir les artistes présents sur le campus et de travailler à la réalisation de chaque projet en dialogue avec des scientifiques remarquables, pour aboutir à une exposition — ce qui est important pour moi en tant que commissaire d’exposition. Un autre moment marquant a été le lancement du programme en 2021, lorsque nous avons immédiatement reçu 250 candidatures, montrant clairement un fort intérêt pour ce type d’initiative.

Il est également très gratifiant de voir de nombreux projets créés lors de la résidence être exposés dans d’autres musées ou présentés dans des festivals. Pour certains artistes, le travail initié à l’EPFL marque le début d’un tout nouveau chapitre artistique.

Un autre moment particulièrement remarquable a été de voir la contribution d’un artiste influencer directement la recherche scientifique. Le projet de Joel Kuennen (2022–23), développé au sein du Crystal Growth Facility, a conduit à la publication d’un article scientifique sur le minéral olivine — rendu possible grâce aux questions uniques et excentriques que Kuennen a posées, en s’écartant des protocoles scientifiques traditionnels.

Enfin, cette année, nous avons établi un partenariat précieux avec la Solar Biennale du mudac, autour du projet d’Alice Bucknell, en lien avec des expositions présentant également les œuvres de Matthew C. Wilson, Emilia Tapprest et Sahej Rahal.

Selon vous, qu’est-ce qui rend l’EPFL si spéciale pour ce type de résidence?

La diversité de la communauté scientifique de l’EPFL est véritablement unique. Un autre élément clé est le cadre curatorial: la présence d’EPFL Pavilions sur le campus a permis à la communauté artistique d’être déjà sensibilisée à notre travail. À travers les expositions et les programmes d’EPFL Pavilions, il est devenu évident que nous parlons non seulement le langage de la science, mais que nous sommes aussi profondément engagés dans le langage de l’art. Cette double compréhension crée un environnement particulier où un dialogue riche et significatif entre les deux domaines peut s’épanouir.

Comment voyez-vous l’avenir du programme de résidence d’artistes à l’EPFL, et plus généralement des arts à l’EPFL?

Le CDH et EPFL Pavilions traversent actuellement une phase de transition. Le programme de résidence, dans sa forme actuelle, est en pause. Cependant, je pense que le dialogue entre l’art et la science continuera à prospérer à l’EPFL sous des formes nouvelles et renouvelées, ainsi qu’au travers des initiatives existantes comme CDH-Culture.

Que retiendrez-vous de votre expérience à l’EPFL pour votre nouveau rôle au CERN?

Je retiendrai tout. L’EPFL a été un chapitre fondamental de mon parcours professionnel, qui a contribué à me mener au CERN. Ce fut une expérience véritablement enrichissante — d’abord pendant mes années aux EPFL Pavilions aux côtés de Sarah Kenderdine, puis en créant le programme d’artistes en résidence.

Je compte apporter au CERN le même enthousiasme et la même curiosité qui m’ont guidée dans l’exploration et la découverte de l’EPFL. J’ai hâte de découvrir une nouvelle communauté scientifique au CERN et de favoriser la présence d’artistes internationaux.

À propos d’Enter the Hyper-Scientific

Initié par le Collège des Humanités de l'EPFL, amplifié par EPFL Pavilions et en partenariat avec la Ville de Lausanne, le programme de résidence d'artistes Enter the Hyper-Scientific reflète la mission du Collège des Humanités de promouvoir des rencontres et des collaborations transdisciplinaires entre artistes et communauté scientifique de l’EPFL. Le programme invite des créateurs professionnels suisses et internationaux, à mener des résidences de trois mois pour réaliser des projets innovants et visionnaires à l’intersection de l’art, de la science et des technologies avancées. Depuis 2021, le programme a accueilli 14 artistes sur le campus.

Expositions

HALOS, l’exposition finale d’Enter the Hyper-Scientific, ouvrira ses portes aux EPFL Pavilions – Pavillon A, le 5 juin, présentant en avant-première Atithi de Sahej Rahal et Interspecies Interfaces (Part II) d’Emilia Tapprest. L’exposition actuelle, From Solar to Nocturnal, avec Staring at the Sun d’Alice Bucknell et Interspecies Interfaces (Part I) de Matthew C. Wilson, reste visible jusqu’au 4 mai.


Auteur: Stephanie Parker

Source: People

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