Un dispositif qui permet de dévoiler l'ADN des plantes sur le terrain

L'équipe de GenoRobotics utilise des patchs de microaiguilles pour extraire l'ADN des plantes. 2024 EPFL/Jamani Caillet CC-BY-SA 4.0

L'équipe de GenoRobotics utilise des patchs de microaiguilles pour extraire l'ADN des plantes. 2024 EPFL/Jamani Caillet CC-BY-SA 4.0

L’équipe de GenoRobotics, un projet interdisciplinaire de l’EPFL, a mis au point un protocole d’identification de l’ADN de plantes novateur, beaucoup moins gourmand en temps, en énergie et en coûts que le procédé classique. Avec cette méthode tout-terrain, elle espère faciliter le référencement des plantes, pour préserver la biodiversité.


Au cœur du Jardin botanique cantonal de Lausanne, un groupe s’affaire autour d’Hedera colchica. Les feuilles vert sombre du lierre du Caucase sont tatouées par endroit de petits carrés beiges. Ce sont les marques d’un patch d’hydrogel composé de 11x11 microaiguilles d’une hauteur de 800 microns, et créé par l’équipe de GenoRobotics. «A l’origine, les patchs de microaiguilles ont été développés pour injecter des substances, comme des vaccins. Il y a six ans, lorsque nous avons lancé le projet, nous avons été parmi les premiers à les utiliser pour extraire des informations, explique Nicolas Adam, coordinateur du projet GenoRobotics. A ma connaissance, nous sommes toujours les seuls à les utiliser pour extraire l’ADN hôte d’une plante. Cette méthode permet une extraction simple, rapide, et des coûts divisés par dix par rapport au procédé classique.»

Impact sur la biodiversité

Soutenu par l’EPFL, GenoRobotics fait partie de l’initiative MAKE, et réunit une cinquantaine d’étudiantes et étudiants. L’objectif de ce projet interdisciplinaire est de faciliter le recensement des espèces de végétaux pour mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes et ainsi préserver la biodiversité. Pour ce faire, l’équipe travaille à la conception d’un dispositif d’analyse de l’ADN portable, peu coûteux et robuste. Le but étant de pouvoir procéder à des analyses sur le terrain pour éviter l’exportation d’échantillons, connaître immédiatement le nom d’une espèce et s’il s’agit d’une nouvelle découverte, recenser un maximum de données.

«De l’extraction de l’ADN à son séquençage, en passant par son amplification, notre solution tout terrain permet de réaliser une identification ADN en un temps record et à moindre coût par rapport à un protocole classique en laboratoire», relève Nicolas Adam. Dans un objectif d’accessibilité au plus grand nombre, le projet se fait aussi en Open Source.

Rôder le protocole pour Madagascar

L’équipe peaufine actuellement son laboratoire portable en partenariat avec le Jardin botanique cantonal de Lausanne, qui a mis quelques-unes de ses 5000 espèces de plantes à disposition. Ceci en vue d’une expédition cet automne dans les forêts humides de Madagascar, qui recensent de nombreuses espèces endémiques. «Il est crucial de connaître notre biodiversité pour la protéger efficacement, et le projet de GenoRobotics pourrait marquer une avancée significative dans cette voie, raison pour laquelle nous le soutenons. Cette collaboration, en tant qu'institution scientifique, favorise des échanges enrichissants tout en mettant en valeur nos collections», remarque Patrice Descombes, conservateur en chef au département de botanique du Naturéum (Muséum cantonal des sciences naturelles).

Avoir un impact sur la préservation de la biodiversité, c’est ce qui a motivé Ghali Jaidi à rejoindre GenoRobotics. «J’étais frustré du manque de pratique dans le cursus, ce type de projet amène une approche concrète tout en faisant écho à la théorie vue en cours. Cela renforce les connaissances et ça m’a aidé à être à l’aise avec la manipulation des équipements de laboratoire.» L’étudiant de 2e année en ingénierie des sciences du vivant teste par exemple différents buffers (solutions liquides) pour préserver le plus longtemps possible les brins d’ADN intacts entre l’extraction et l’amplification.

«Pour l’amplification, nous sommes partis sur une méthode à l’aide d’enzymes, par recombinase et polymérase, qui peut être effectuée à des températures comprise entre 37° et 40°», explique Samuel Goodchild, étudiant de 3e année en ingénierie des sciences du vivant. La méthode qui peut être réalisée sur le terrain, a l’avantage d’être beaucoup moins gourmande en énergie que l’amplification par PCR et prend 40 minutes au lieu de 2 à 3 heures. Et elle s’avère fiable, comme l’a montré une expédition dans la forêt du parc naturel du Jorat.

Celle-ci, menée en été 2023 en compagnie de Patrice Descombes - le conservateur étant un botaniste chevronné- avait pour but de comparer les résultats de l’identification traditionnelle avec ceux de l’identification génétique développée par GenoRobotics. Bilan: ils correspondaient. «Actuellement, avec notre protocole, nous parvenons à obtenir en moyenne deux régions de l’ADN (barcodes), qui permettent de différencier génétiquement les espèces. Dans la plupart des cas, c’est suffisant pour identifier l’espèce. Mais idéalement, nous visons l’obtention de 4 barcodes, car cela apporte un gain d'informations intéressant, notamment pour les nouvelles espèces. Nous devons encore améliorer le protocole d’extraction pour récupérer plus d’ADN et être moins dépendants de facteurs comme la saisonnalité (ndlr: il faut des feuilles vertes), le type de plantes ou les contaminants tels que les protéines et les sucres qui inhibent l’amplification», détaille Nicolas Adam.

Optimiser les coûts et gagner du temps

Un autre défi pour GenoRobotics est de faire baisser les coûts du séquençage, notamment en réduisant le temps de celui-ci. Pour cette étape, l’équipe utilise le séquenceur d’Oxford Nanopore Technologies, actuellement le seul sur le marché qui est portable. Les étudiantes et étudiants ont développé un algorithme permettant durant le séquençage de reconstituer en temps réel les séquences ADN tout en les comparant à une base de données. «Ainsi, dès que les séquences ADN sont de qualité suffisante et ont permis l'identification de la plante avec assez de précision, nous pouvons arrêter le séquençage. Bien sûr cet algorithme est capable de tourner en offline pour son utilisation dans des terrains reculés», précise Nicolas Adam.

Informatique, biologie, ingénierie, les membres de GenoRobotics doivent mêler les connaissances de plusieurs disciplines pour que le projet fonctionne. «Outre la protection de la biodiversité, l’association entre la biologie et la technique m’a beaucoup intéressée. On s’apporte les uns les autres des connaissances, c’est un échange très enrichissant, et j’apprends aussi à former des étudiantes et étudiants sur des procédures, ce qui me fait redécouvrir les bases sous un autre angle», relève Charlotte Alers, étudiante Master en Neuro-X et responsable du pôle expédition de GenoRobotics. En attendant la forêt luxuriante de Madagascar, elle conduit sa petite équipe sur les sentiers du Jardin botanique, où certaines plantes se montrent encore réticentes à dévoiler tous les secrets de leur ADN.


Auteur: Laureline Duvillard

Source: Projets MAKE

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