«Un cours, c'est comme une chorégraphie»

© Alain Herzog/ 2018 EPFL

© Alain Herzog/ 2018 EPFL

Enseignante à l'EPFL depuis plus de 25 ans, Kathryn Hess Bellwald, professeure d'algèbre linéaire a remporté le titre de meilleure enseignante en section sciences de la vie.

L’Américaine Kathryn Hess Bellwald a débarqué à l’EPFL à l’âge de 24 ans, munie de trois postdoctorats. Avec un Bachelor à l’Université du Wisconsin obtenu à 17 ans et un Doctorat au MIT bouclé à 21 ans, la professeure d’algèbre linéaire peut se targuer d’un cursus éclair. Pourtant, à l’école primaire, les calculs ne sont pas vraiment sa tasse de thé. Le potentiel et la beauté des mathématiques elle les a découvert à l’âge de douze ans, en suivant aux Etats-Unis une offre similaire au cours Euler, qu’elle a cofondé. «Une mathématicienne nous a parlé des variantes de géométrie, j’ai commencé à comprendre qu’il était possible de changer les règles, de jouer avec les structures, j’ai trouvé ça passionnant.» Elle choisit alors de devenir astrophysicienne. «Mais durant mes études de Bachelor, une professeure m’a dit qu’elle ne décelait aucune intuition physique chez moi, que je m’en sortais uniquement car j’étais une excellente mathématicienne. J’ai donc décidé de changer de voie. Son honnêteté m’a rendue service.»

Depuis, cette amoureuse des «belles structures» entretient une liaison pérenne avec les mathématiques. La topologue met aujourd’hui ses connaissances au service des neurosciences, notamment au sein du Blue Brain Project. Et depuis plus de vingt-cinq ans, elle enseigne sa matière fétiche avec la même énergie, aussi bien aux étudiants en mathématique qu’à ceux en sciences de la vie. A tel point que cette section lui a décerné le prix de meilleure enseignante. «J’essaye constamment d’améliorer mes méthodes d’enseignement. A mon sens, un bon enseignant se remet toujours en question et il est primordial de se soucier des étudiants, de se mettre à leur place.»

Un show avec craie et tableau noir

Transmettre les rudiments de l’algèbre linéaire à quelque deux cents étudiants de première année aux backgrounds divers et à l’enthousiasme parfois mitigé envers les mathématiques, relève de la gageure. Mais Kathryn Hess Bellwald est rompue aux défis. «Les étudiants en sciences de la vie sont intéressés s’ils voient à quoi cela va leur servir, je fais donc des liens avec leur domaine et j’invite un postdoctorant de leur section à venir donner des exemples concrets d’utilisation de l’algèbre linéaire.»

La professeure a recours chaque semaine à un quiz en ligne pour évaluer si la classe a assimilé les notions transmises, mais au quotidien elle enseigne «à l’ancienne», avec craie et tableau noir. «Cela me permet d’y aller au feeling et de faire des adaptations en fonction de la réceptivité de la classe. Un cours, c’est comme une chorégraphie, il y a un rythme à tenir.» La mathématicienne est désormais parfaitement à l’aise dans ce show, mais elle n’oublie pas ses débuts d’enseignante à l’EPFL. «Un premier bain dans une eau froide et profonde. J’ai dû remplacer un professeur à la dernière minute, j’étais une femme, jeune, enceinte de mon deuxième enfant, devant une classe de 200 étudiants à 90% masculine. La question de l’autorité a été difficile à mettre en place.»

La topologue n’a pas dénoté de sexisme au cours de sa carrière, mais elle s’investit au quotidien pour démontrer que le domaine des mathématiques est aussi ouvert aux femmes qu’aux hommes. Et pour encourager les filles à se lancer dans ce milieu où elles sont encore trop rares. Kathryn Hess Bellwald montre brillamment l’exemple, en menant de front une carrière académique avec l’éducation de quatre enfants. En contrepartie de son engagement, elle reçoit de nombreux retours positifs de la part de ses étudiants. « Lorsqu’on a beaucoup travaillé pour le cours, ça fait vraiment plaisir. Je ne pense pas que les étudiants se rendent compte à quel point leurs évaluations positives ou négatives nous touchent.»