Un chevalier en armure au service de la digitalisation

Daniel Jacquet - 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Daniel Jacquet - 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Daniel Jaquet, chercheur et chef de projet au Laboratoire de muséologie expérimentale, est un scientifique peu commun. Grand expert des arts martiaux occidentaux, il donne souvent ses conférences en armure.


On a beaucoup parlé de la numérisation du panorama de la bataille de Morat, dont les 3 rouleaux de 700 kilos chacun, renfermant une peinture de 100 mètres de long sur 10 mètres de large, ont passé plusieurs mois à l’EPFL pour être minutieusement photographiés par une caméra de 150 millions de pixels. Elle est ainsi devenue la plus grande image numérique au monde.

Travail de conservation pendant la digitalisation
© 2023 EPFL-eM+. Catherine Leutenegger

Mais on a peu parlé de l’instigateur de cette aventure qui se nomme Daniel Jaquet. Il est chercheur et chef de projet au Laboratoire de muséologie expérimentale de l’EPFL. Cette place, il l’a gagnée grâce à sa passion et surtout à son expertise du monde médiéval. Car, sur le papier, Daniel Jaquet ne correspondait pas vraiment au profil recherché par un laboratoire numérique.

Capture de mouvement d'arts martiaux allemands 16ème siècle
© 2023 EPFL-eM+. Catherine Leutenegger

Comment est-il passé d’une thèse en histoire médiévale, d’un travail sur les arts martiaux occidentaux et le combat en armure à la fin du Moyen âge, au développement des projets digitaux à l’EPFL ? Même avec un titre de muséologue, Daniel Jaquet avait le plus grand mal à franchir la porte du laboratoire de la professeure Sarah Kenderdine: « Je n’avais pas de diplôme en science des données, n’était pas informaticien ni expert en réalité augmentée. Je me suis même demandé si je ne devais pas me lancer dans une nouvelle thèse pour accéder à ce laboratoire que je convoitais. »

Capture de mouvement d'un chevalier en armure (cliquer sur la photo pour voir la vidéo) © 2012

Pour parvenir à susciter l’intérêt, notre médiéviste tire parti de ses atouts. Membre du Conseil de Fondation pour le panorama de la Bataille de Morat, il propose un projet ficelé et financé. « Il y a 4 panoramas en Suisse et le seul que le public ne peut pas admirer est celui de la bataille de Morat. Il a été brièvement exposé au public lors de l'Expo.02 dans le Monolithe de Jean Nouvel, puis enfermé dans un bunker. Avec l’anniversaire des 550 ans des Guerres de Bourgogne, qui arrive en 2026, j’ai proposé de créer un jumeau numérique de cette immense fresque. » Un pari réussi, un résultat époustouflant qui permettra d’emmener le futur public dans une dimension augmentée et transporter la peinture à l’ère numérique, donnant la possibilité d’aller au-delà de ce que l’œil humain peut voir.

Présentation du maniement des épées au public au Detroit Institute of Arts Museum
© 2023 Detroit Institute of Arts Museum

Un rapprochement par les arts martiaux

Son engouement pour les travaux de Sarah Kenderdine vient de leur rencontre à Hong Kong, et d’un terrain de recherche commun, les arts martiaux. Elle s’intéresse à l’Asie, lui à l’Occident. La professeure collabore en 2016 avec l'International Guoshu Association à Hong Kong pour créer des installations artistiques basées sur la capture de mouvement lors de performances de Kung Fu. Et lui, expert renommé du mouvement et du combat à l’épée, parcourt le monde pour parler de l’art des guerriers du Moyen Âge. Les samouraïs et les chevaliers devaient se rencontrer. « Il est incroyable et passionnant de montrer que d’une époque à l’autre et jusqu’à nos jours, où que nous nous trouvions sur la planète, les mouvements sont similaires. Lorsque je fais des démonstrations de maniement de l’épée au XVe siècle, on me dit « mais c’est du Karaté » ou un autre sport de combat moderne. Nous devons juste nous souvenir que les maîtres d’armes de l’époque avaient le même corps à entraîner qu’aujourd’hui, on n’invente rien. »

Installations artistiques basées sur la capture de mouvement de Kung Fu
© 2016 Hong Kong, Sarah Kenderdeine et Jeffrey Shaw

La course de l’Escalade en armure

En historien pratiquant, Daniel Jaquet a fait fabriquer son armure sur mesure qu’il arbore lors de ses conférences pour couper court aux fabulations et déconstruire les légendes urbaines. « On confond souvent l’armure rigide lourde et intégrale destinée aux tournois avec l’armure plus légère, le harnois, qui permettait aux chevaliers de combattre à pied s’ils tombaient de cheval. » D’ailleurs sous cette armure, qui couvre les pieds jusqu’au genou, l’avant des cuisses et le haut du corps, les combattants s’habillaient d’un vêtement matelassé qui servait aussi de protection lors des affrontements. « On n’a pas beaucoup de documentation sur les vêtements techniques que portaient les chevaliers sous leurs armures. J’ai fabriqué le mien dans une démarche d’archéologie expérimentale et je suis à la 28ème itération de ce vêtement. »

Notre chevalier a voyagé dans le monde entier avec son épée et son armure. 33 kilos d’acier, à entretenir régulièrement à la cire d’abeille pour éviter la rouille. « Pas plus lourd qu’un uniforme de pompier ou que l’attirail d’un soldat », m’explique-t-il. Une armure qu’il porte vaillamment lors de défis peu communs comme la course de l’Escalade, qui se déroule à Genève début décembre. « J’ai dû arrêter au 3ème tour, l’acier avait usé le tissu de mes chausses et entaillait la peau au niveau du genou. » Toujours pour étayer sa recherche sur la maniabilité de l’armure médiévale et son impact sur la mobilité du corps, il s’est lancé à l’assaut d’un parcours du combattant, en compétition avec un soldat du feu et un militaire. Bilan : « C’était dur ! ». Au fil des ans et des expérimentations, son armure lui a valu, à plusieurs reprises, des points de suture.

En vol pour New York © 2017 Daniel Jaquet

Enfin, parmi les nombreuses anecdotes qui ont ponctué sa vie de chercheur et d’orateur, il y a celle de son voyage en avion et en armure jusqu’à New York, où il était invité au Metropolitan Museum pour une conférence. « Cela m’a évité des frais supplémentaires pour excès de bagages et a suscité beaucoup de questions des passagers pendant tout le vol. »

Son prochain défi : « J’aimerais créer mon propre laboratoire. »


Auteur: Sandy Evangelista

Source: Collège des humanités | CDH

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