Un barrage d'Afrique reconstruit au cœur d'un labo de l'EPFL

La retenue du lac Kariba et son déversoir ainsi que le fond de la rivière qui s’écoule en aval ont été modélisés au Laboratoire de constructions hydrauliques. L’EPFL a été mandatée pour étudier l’érosion progressive que provoque l’écoulement des trop-pleins en cas de crue. D’ici quelques années, celle-ci pourrait menacer gravement la stabilité de l’ouvrage.

Deux fois le volume d’eau du Léman pour un bassin versant équivalant à 16 fois la surface de la Suisse: le grand lac Kariba, à la frontière de la Zambie et du Zimbabwe, s’appuie sur un imposant barrage de 128 mètres de haut, construit entre 1955 et 1959.

Les contraintes du climat dans cette zone tropicale imposent toutefois au propriétaire de l’ouvrage, Zambezi River Authority, d’ouvrir régulièrement d’énormes déversoirs afin d’évacuer l’eau des crues. Une opération qui n’est pas sans conséquence: le lit du fleuve Zambèze s’est d’ores et déjà creusé d’une gigantesque fosse à l’endroit où le jet d’eau, craché par six orifices de 9 mètres sur 9, vient s’écraser avec un débit de 9 millions de litres par seconde. «Ce trou atteint désormais une profondeur de 70 à 80 mètres par rapport au lit normal de la rivière», explique Anton Schleiss, directeur du Laboratoire de constructions hydrauliques (LCH) de l’EPFL.

Mondialement reconnu pour ses compétences dans l’étude de l’érosion des roches par des jets d'eau à haute vitesse, ce laboratoire a été mandaté par Zambezi River Authority pour prendre la mesure du phénomène. «Mais aucun capteur ne résisterait à la violence de l’eau qui se déverse dans cette rivière, explique Michael Pfister, collaborateur scientifique au LCH. C’est pourquoi il a été nécessaire de procéder à une modélisation du barrage et de la rivière en aval.»

L’installation a été conçue et réalisée en trois mois environ par des équipes de l’EPFL et quelques fournisseurs externes. Elle est 65 fois plus petite que le barrage réel. «Des formules mathématiques, c'est à dire des lois de similitude, nous permettent d’extrapoler les mesures que nous prenons sur notre maquette afin de savoir ce qui se passe en conditions réelles», précise Anton Schleiss. Et ce, «même si certains paramètres comme la viscosité de l’eau ne changent évidemment pas en fonction de l’échelle, ajoute Michael Pfister. C’est là tout l’art de la modélisation: trouver la bonne taille pour avoir des résultats exploitables malgré une construction qui doit rester raisonnable.»

Les mesures, prises grâce à des capteurs de pression installés dans le fond de la maquette, ont commencé la semaine dernière. Le barrage en modèle réduit est alimenté par les pompes du laboratoire, fonctionnant en circuit fermé, qui permettent de faire circuler plus de 300 litres à la seconde.
Les chercheurs tenteront ensuite de modifier certains paramètres afin d’envisager une réponse concrète au problème que ne manqueront pas de rencontrer les propriétaires du barrage si l’érosion continue de la même manière. «Il s’agira probablement d’agrandir la fosse vers l’aval, au moyen d’un travail de minage sous-marin, pour permettre une meilleure évacuation de ces énormes quantités d’eau», estime Anton Schleiss. Ce sont toutefois les résultats des mesures et des simulations effectuées sur la maquette après sa transformation qui permettront de valider ou non la pertinence de cette approche.