Un Atlas de Paysages pour imaginer le futur de la ville de Paris
Le Centre Habitat de l’EPFL a réalisé le premier Atlas de Paysages de Paris, remportant un concours organisé par la ville et l’Etat français. L’étude inclut des cartes et des répertoires, mais aussi les perceptions de la population, dans une approche scientifique innovante.
La notion d’atlas évoque un grand et bel ouvrage réunissant de nombreuses cartes géographiques. Un document offrant une photographie détaillée d’un territoire à un instant T, l’encyclopédie d’un lieu. C’est le cas de L’Atlas de Paysages de Paris, réalisé sur une année par le Centre Habitat (HRC) de l’EPFL. Toutefois, le document nourrit aussi d’autres ambitions, car il tient compte des perceptions de la population. Suivant la Convention Européenne du Paysage, qui s’est tenue à Florence, en 2000, l’Atlas s’occupe du paysage comme «une partie de territoire, telle que perçue par les habitants du lieu ou les visiteurs, qui évolue dans le temps sous l'effet des forces naturelles et de l'action des êtres humains.» Dans cette perspective, les habitantes et habitants doivent jouer un rôle actif et à parts égales avec les politiques institutionnelles dans la révélation, la protection et l’évolution du paysage.
L’étude, qui touche à sa fin, prendra la forme d’un livre de plus de 500 pages et sera disponible dès le printemps prochain sur un site internet. En plus de cartes, l'Atlas inclut des témoignages de la population qui entrent en dialogue avec les analyses d’expertes et experts français et celles de l’équipe du HRC. Une ouverture temporelle est aussi proposée, car l’Atlas répertorie les enjeux à venir tout en avançant des recommandations sur les futurs possibles de la Ville Lumière, actuellement en pleine transition socio-écologique.
Mémoires et représentations collectives
L’Atlas résulte d’une commande de l’Etat français et de la ville de Paris à la suite d’un concours remporté par le HRC. Pour ses autrices et auteurs, le document arrive à un moment charnière de l’histoire de la ville, car il permet de révéler les enjeux et les risques liés au paysage naturel et urbain dans une période de transformation profonde. «L’Atlas est un dépôt de mémoires et de représentations collectives qui ne sont pas figées, mais qui orientent tout projet et qui sont déjà, en elles-mêmes, le résultat d’un projet où le paysage joue un rôle essentiel», précise Paola Viganò, directrice du HRC.
«Nous avons décomposé le territoire parisien couche par couche afin d’en donner une lecture géomorphologique, historique et sociale», explique pour sa part Ben Gitai, chercheur au HRC et coordinateur de l’équipe scientifique. «Cette approche nous a permis de faire émerger les singularités à l’échelle locale.» L’équipe du HRC a conçu l’Atlasde manière hybride, en organisant quinze promenades publiques et des ateliers participatifs, en alternance avec des entretiens menés avec des scientifiques et des responsables politiques tels que les maires d'arrondissement. Les témoignages de la population entrent ainsi en résonance avec les traités scientifiques, les plans et les documents d’urbanisme. A noter que les imaginaires parisiens issus de la littérature et du cinéma ont aussi été intégrés au document.
Préserver les singularités
La déconstruction de la métropole s’est appuyée sur une lecture des structures paysagères parisiennes qui a fait ressortir la grande variété de ses plaines, coteaux, collines, montagnes et cols. Souvent sous-évaluée, selon l’équipe du HRC, la topographie joue un rôle essentiel dans la perception de l’espace et dans le fonctionnement écologique d’une ville comme Paris. La lecture par «villages» et de ce qui se trouve entre les villages, nommé «le commun métropolitain», donnée par l’Atlas a soulevé beaucoup de discussions. Elle vise à montrer l’articulation entre une métropole-capitale et l’espace quotidien des relations au niveau local, avec des paysages variés qui sont le produit d’histoires, de morphologies et d’usages différents.
Les singularités de ces villages et entre-villages sont à préserver, soulignent les scientifiques, car un écueil menace la ville: l’homogénéisation liée à la gentrification et aux recettes d’adaptation au changement climatique. Que cela soit au niveau sociologique, avec l’hypertourisme, ou au niveau de la polarisation entre foyers riches et pauvres, dont résulte l’éviction de la classe moyenne. Le risque d'homogénéisation concerne plus directement le paysage, avec la mise en place d’importantes initiatives d’adaptation à la sécheresse et aux canicules. La volonté politique de planter 170'000 arbres ou de végétaliser les murs et les toits de la ville donnent l’échelle des changements à venir, dans une ville-monument comme Paris.
Adaptation au changement climatique
D’une grande variété, le document présente également un diagnostic de biodiversité basé sur les études en cours et une analyse des vulnérabilités du territoire face aux conséquences du changement climatique. Une carte rappelle par exemple que les sols sont encore majoritairement imperméables, alors que la ville subira de plus en plus d’épisodes de fortes pluies. Et une analyse de la Seine indique, entre autres, que ses infrastructures doivent être urgemment renforcées pour éviter les débordements, les inondations dans les rues et les débordements des stations de pompage. Les îlots de chaleur sont également trop nombreux, face aux canicules qui atteindront les 50 degrés, une trentaine de jours par an d’ici à 2080.
Site internet et exposition
L’Atlas de Paysages de Paris développé par l’EPFL vise à offrir à la ville un outil critique et de débat. Le site internet contiendra des photographies, des vidéos, des témoignages sonores, des cartes interactives et des tracés de promenades à télécharger. Une version grand public de l’Atlas sera réalisée à Paris à travers une exposition prévue au Pavillon de l’Arsenal au printemps 2024.
Extraits de témoignages
«La maison de ses parents était au rez-de-chaussée, il travaille au rez-de-chaussée parce que son entreprise est au rez-de-chaussée, donc… pour lui, la vie métropolitaine, c'est la vie de la rue, du rez-de-chaussée… de l’Institut du monde arabe, du Centre Pompidou, etc.»
«Je sais bien qu'on parle de paysage urbain, mais en ce qui me concerne, je me sens dans un "paysage", si au milieu du béton, je vois un square ou un jardin avec des arbres…»
A propos des Champs-Elysées: «Je trouve ça affreux! Le tracé est assez extraordinaire, mais l’utilisation contemporaine est lamentable. L’invasion commerciale et publicitaire est un fléaux. C’est d’une laideur… épouvantable. Ça masque complètement le regard sur l’architecture. De grands immeubles 1900 ont été restaurés, mais la publicité et les enseignes lumineuses détournent le regard de ce qui devrait être regardé.»
Extrait littéraire: «J’habite à Paris, un quartier qui mieux que tout autre démontre combien notre capitale est faite de petites villes sans aucun rapport les unes avec les autres. Le Palais Royal. (…) Ce lieu mort a la beauté d’un coquillage vide, rejeté par les vagues.» Jean Cocteau, Paris, Grasset, 2013, p.27-28
République française et Commune de Paris
Atlats de Paysages de Paris, Centre Habitat, EPFL, 513 pages, 2023. (A paraître)
Un projet mené par le Centre de Recherche Habitat (HRC), ENAC, EPFL:
HRC: Paola Viganò, Ben Gitaï Noélie Lecoanet Joanne Nussbaum, Clarisse Protat.
Experts EPFL: Valentin Bourdon (HRC-EPFL) Charlotte Grossiord (PERL/HRC-EPFL) Gabriele Manoli (URBES/HRC-EPFL) Luca Pattaroni (LASUR/HRC-EPFL) Paolo Perona (PL-LCH/HRC-EPFL).
Experts externes: Jean-Marc Besse (Directeur de recherche CNRS et directeur d’études EHESS) Dominique Marchais (réalisateur de film et enseignant ENS Géosciences) Chiara Santini (historienne de paysages, École nationale supérieure de paysage (ENSP) de Versailles).