Un antibiotique change de structure au contact de l'eau

Fragment de molécule de gramicidine © INRIA

Fragment de molécule de gramicidine © INRIA

Des chimistes de l'EPFL ont montré comment la structure moléculaire en trois dimensions d'un antibiotique change lorsqu'il interagit avec l'eau. Ils ouvrent la voie vers une meilleure compréhension des interactions entre le médicament et les molécules du vivant.

Comme une clé s'insérant dans une serrure, les molécules des médicaments agissent en se fixant aux molécules du vivant. Plus leur structure tridimensionnelle est connue précisément, meilleure est la compréhension de l'action du principe actif. La particularité des molécules du vivant est qu'elles se trouvent souvent dans des milieux aqueux, par exemple le corps humain. Or l'eau n'est pas qu'un milieu dans lequel se trouvent ces molécules, elle change aussi leur structure. Les chercheurs du Laboratoire de chimie physique moléculaire de l'EPFL ont montré comment la structure tridimensionnelle du gramicidine – un antibiotique naturel – évolue en fonction du nombre de molécules d'eau autour de lui. Cette avancée laisse espérer des progrès pour le design de nouvelles molécules pharmaceutiques dans la lutte contre différentes maladies, telles que l'épilepsie, le cancer ou encore Alzheimer.

Pour connaître la structure d'une molécule, les chimistes mesurent son spectre, c'est à dire les longueurs d'onde de la lumière qu'elle absorbe lorsqu'elle est illuminée par un laser. A partir de cette signature lumineuse, ils peuvent prédire la structure tridimensionnelle de la molécule. Idéalement, à chaque spectre correspond une structure précise. Mais à température ambiante, les grandes molécules comme le gramicidine et ses 176 atomes sont victimes d'un effet quantique parasite appelé élargissement thermique inhomogène. Liée à l'agitation thermique, ce brouillage empêche une mesure assez précise pour que les chercheurs puissent identifier une structure moléculaire unique.

Un froid quantique

Les chimistes ont du diminuer les effets des perturbations. Pour y parvenir, ils ont d'abord piégé les molécules dans un dispositif qu'ils ont du concevoir pour les circonstances. Ensuite, ils ont refroidi rapidement les molécules à près de dix Kelvin au-dessus du zéro absolu. A cette température, les effets quantiques parasites diminuent et les mesures deviennent possibles. Finalement, les scientifiques ont ajouté, molécule par molécule, de l'eau à l'antibiotique et ont observé que sa structure changeait selon la taille de l'amas de molécules d'eau. Ils ont pu ainsi faire des mesures en ajoutant jusqu'à cinquante molécules d'eau.

Menés par Oleg Boyarkine, sa jeune collègue Natalia Nagornova et Thomas Rizzo, ces travaux ont impact important sur la recherche fondamentale, mais aussi dans le domaine pharmaceutique. « C'est un point crucial que de comprendre comment les molécules des médicaments changent de forme lorsqu'elles sont dissoutes dans l'eau. Cette avancée permettra de concevoir par ordinateur de nouveaux médicaments plus efficaces », explique le chimiste. Le défi était de mener à bien et avec assez de précision ces expériences complexes. « Si la structure d'une grande molécule dans l'eau ne peut réellement être connue que par le calcul, grâce à la spectroscopie à très basse température, nous pouvons la valider. »

Lutter contre Alzheimer et l'épilepsie

D'autres molécules seront examinées grâce à cette technique. Dans le cas de la maladie d'Alzheimer et de l'épilepsie, par exemple, les médicaments cherchent à court-circuiter certaines réactions chimiques dans le cerveau. Les molécules pharmaceutiques se lient aux protéines du cerveau en des points spécifiques et bloquent le développement de la maladie. La création de ce lien chimique dépend en grande partie de la structure des principes actifs et des protéines concernées. Le but des prochaines recherches sera de déterminer les points d'ancrage spécifiques d'une protéine et d'un médicament, ainsi que leurs structures tridimensionnelles en présence d'eau. Comprendre ces structures permettra ainsi de développer de nouveaux médicaments.

Source :

Interplay of Intra- and Intermolecular H-Bonding in a Progressively Solvated Macrocyclic Peptide, Natalia S. Nagornova, Thomas R. Rizzo and Oleg V. Boyarkin, Science, 19 avril 2012.

Lien :
http://lcpm.epfl.ch/


Auteur: Nicolas Guérin

Source: EPFL