Tuberculose et bactéries zombies

Mycobacterium tuberculosis (credit à CDC/Elizabeth "Libby" White)

Mycobacterium tuberculosis (credit à CDC/Elizabeth "Libby" White)

Les morts-vivants existent, du moins chez les bactéries : certaines sont en effet biologiquement actives, mais ne prolifèrent pas. Dissimulées en mode zombie, elles sont ensuite susceptibles de ressusciter pour réinfecter les patients. Or, des chercheurs de l’EPFL ont pu prouver pour la première fois l’existence de cet état étrange avec la tuberculose, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de traitement.

La tuberculose affecte au total plus de 12 millions de personnes, et est traitée habituellement avec quatre médicaments pendant plusieurs mois. Toutefois, de nombreux patients souffrent de rechutes une fois le traitement terminé. En se basant sur l’étude de bactéries environnementales inoffensives, les chercheurs pensent que la bactérie de la tuberculose, Mycobacterium tuberculosis, devient une sorte de « zombie » dans le corps des patients, et revient à la vie lorsque les conditions le permettent. Or, des scientifiques de l’EPFL ont désormais pu observer la M. tuberculosis dans cet état de mort-vivant qui semble être causé par des facteurs stressants, comme des attaques du système immunitaire. Cette étude, qui ouvre la porte à de nouveaux traitements, est publiée dans Cell Host & Microbe.

Les bactéries vivantes se divisent et prolifèrent, sinon elles sont considérées comme mortes. Certaines peuvent néanmoins être dans un état intermédiaire où elles sont biologiquement actives, c’est-à-dire qu’ elles produisent de l’énergie et des protéines, mais sans se diviser. « C’est une existence de mort-vivant ou zombie », explique John McKinney, dont la postdoc Giulia Manina a mené l’étude sur la M. tuberculosis. « Les bactéries sont actives, mais ne grandissent pas ni ne se divisent. Cet état est appelé « métaboliquement actif, mais non croissant » (NGMA en anglais).

Ce phénomène est probablement la cause des rechutes tuberculeuses : lorsque la population de M. tuberculosis qui infecte un patient est confrontée à un régiment agressif d’antibiotiques, certains de ses membres deviennent des zombies pour se défendre. Or, il n’existait jusqu’ici aucune preuve susceptible d’étayer cette hypothèse, notamment parce que les techniques expérimentales d’étude des populations bactériennes dépendaient à la base des premières bactéries proliférant.

Il existe toutefois une parade : les bactéries zombies sont en effet encore actives métaboliquement parlant, donc elles continuent à produire des protéines. Manina a exploité cet état de fait avec une technique capable de marquer et tracer un gène qui s’enclenche lorsque la M. tuberculosis sécrète de nouvelles protéines. Cette technique, développée par le chercheur principal du laboratoire Neeraj Dhar, utilise comme marqueur une molécule fluorescente traçable avec un microscope.

Manina a alors cultivé des bactéries dont les gènes avaient été marqués dans différentes situations de stress: manque de nutriments, antibiotiques ou conditions simulant une réponse immunitaire du patient. Les bactéries ont en outre été prélevées dans les poumons de souris malades à divers stades de l’infection. Pistées grâce au gène fluorescent, ces bactéries ont été testées afin de déterminer comment ces différentes conditions les affectaient au fil du temps.

Les chercheurs ont alors trouvé que la M. tuberculosis répondait aux conditions stressantes, comme les attaques immunitaires ou le manque de nutriments, en diversifiant sa population et en plongeant quelques-uns de ses membres dans cet état zombie. « Cela signifie que cet état pourrait être une défense contre le système immunitaire du patient, » explique Manina. « Reste que l’on ne sait pas encore s’il s’agit d’une réponse bactérienne active ou la conséquence d’une attaque immunitaire. »

Les chercheurs ont également trouvé que les poumons des souris tuberculeuses contenaient une sous-population très importante de cellules zombies, qui n’a étonnamment pas été observée dans les rongeurs dont le système immunitaire a été affaibli génétiquement, ce qui suggère qu’immunité et mode zombie sont liés.

Les scientifiques pensent que ce phénomène pourrait contribuer à la résistance bactérienne aux antibiotiques, et que l’immunité et la pression médicamenteuse participeraient à la résistance et aux rechutes tuberculeuses. Ces découvertes pourraient donc être utiles pour créer de nouvelles stratégies médicamenteuses contre la M. tuberculosis, en prenant pour cible les bactéries zombies qui ne se multiplient pas. L’équipe s’intéresse désormais à optimiser le suivi des gènes afin d’obtenir une image améliorée de la physiologie sous-jacente au mode zombie.

Source

Manina G, Dhar N, McKinney JD. Stress and Host Immunity Amplify Mycobacterium tuberculosis Phenotypic Heterogeneity and Induce Nongrowing Metabolically Active Forms. Cell Host & Microbe (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.chom.2014.11.016



Images à télécharger

Mycobacterium tuberculosis (credit à CDC/Elizabeth "Libby" White)
Mycobacterium tuberculosis (credit à CDC/Elizabeth "Libby" White)

Partager sur