Trouver l'équilibre entre hydroélectricité et biodiversité

Raphaël Angeles a travaillé à rendre la centrale hydroélectrique Dynamo de Courrendlin (arrière-plan), plus durable. © EPFL / 2025 - CC-BY-SA 4.0

Raphaël Angeles a travaillé à rendre la centrale hydroélectrique Dynamo de Courrendlin (arrière-plan), plus durable. © EPFL / 2025 - CC-BY-SA 4.0

En prenant comme cas d’étude la centrale hydroélectrique Dynamo de Courrendlin, dans le canton du Jura, un diplômé en sciences et ingénierie de l’environnement a proposé une adaptation éco-compatible de la production d’électricité dans le cadre de son projet de master.

Pour son projet de master en sciences et ingénierie de l’environnement, Raphaël Angeles n’a pas hésité à se jeter à l’eau. Muni de bottes hautes et d’un GPS, le diplômé de l’EPFL a mesuré la ‘bathymétrie’, soit la topographie du lit de la Birse, une rivière qui traverse, entre autres, le canton du Jura. Des mesures réalisées en un lieu précis, près de la centrale hydroélectrique Dynamo de Courrendlin. Son travail donne une première photographie de l’état actuel de la rivière et de ses habitats et permet de formuler des recommandations chiffrées auprès de sa concessionnaire et du canton pour en améliorer les conditions écologiques.

En associant les données livrées par le canton du Jura à celles du taux de production d’électricité de la centrale, son analyse montre qu’en réduisant de 10% l’énergie produite annuellement, une amélioration écologique de l’ordre de 38% serait observée. Ces chiffres pourraient être atteints en variant le débit de l’ouvrage hydraulique, ce qui, contrairement à un débit constant, assure un écoulement dynamique et naturel. Les habitats de la truite fario, actuellement menacée, seraient ainsi améliorés. Ceux de l’ombre de rivière, une espèce en danger, le seraient également, mais une étude complémentaire devra le chiffrer. Les conclusions de son projet de master viennent de paraître dans la revue Sustainability.

L’étude de la Birse a commencé pour Raphaël Angeles lors de son stage de master en entreprise, réalisé dans le bureau d’études EcoEng de Porrentruy. Le Lausannois souhaitait travailler sur un sujet en lien avec l’écologie. Il s’était aussi intéressé aux projets d’assainissement hydraulique en suivant à l’EPFL les cours de Giovanni De Cesare, directeur opérationnel de la Plateforme de constructions hydrauliques (PL-LCH), devenu directeur de son travail de master. Le canton du Jura lui souffle alors l’idée de travailler sur la centrale Dynamo de Courrendlin, en activité depuis 1899, l’une des 702 centrales du pays, selon les statistiques de l’Office fédéral de l'énergie (OFEN) de 2024. L’hydroélectricité couvre en entre 55 à 60% de la production nationale d’électricité. Les centrales de petite taille telles que la Dynamo en représentent environ 6%.

Modèle hydraulique

L’étudiant réunit toutes les données nécessaires à la modélisation de la rivière au niveau de la centrale, soit sur 2,5 kilomètres. Ces éléments incluent les données des débits journaliers de la rivière des 20 dernières années, sa topographie et la production hydroélectrique des dernières années. Ils lui permettent de créer un modèle hydraulique numérique et de formuler un indice écologique en fonction du débit exploité par la centrale.

Cet indice tient compte du nombre d’habitats créés dans la rivière elle-même pour l’ombre et la truite fario. La qualité et la durabilité des habitats doivent prendre en considération l’évolution de l’animal, de son stade de larve à l’âge adulte, ceux-ci nécessitant des vitesses d’écoulement et des profondeurs d’eau différentes. L’indice écologique doit aussi intégrer des variations exceptionnelles, comme des périodes d’étiages en été, avec des cours d’eau très bas en raison de la sécheresse, ou la survenue de fortes précipitations. Un premier constat montre que la rivière n’est pas optimale pour l’ombre au niveau de la centrale.

Le modèle propose finalement une optimisation écologique et économique des conditions pour chaque niveau de débit de la rivière. Cette méthode dite d’allocation «non proportionnelle» des débits est plus fine que celle habituellement appliquée dans l’assainissement de centrales hydrauliques. Elle pourrait être intégrée à d’autres ouvrages, même de plus grande taille, et dans d’autres contextes.

Panneaux solaires en bonus

En bonus, l’étudiant propose à la concessionnaire de compenser la perte de production électrique en plaçant des panneaux photovoltaïques sur le canal en béton qui amène l’eau dans la centrale, sachant que ce dernier ne possède aucune valeur écologique. Une telle installation produirait même annuellement 20% d’électricité supplémentaire, ce qui correspond à la consommation d’environ 30 ménages.

Aujourd’hui employé du bureau d’études qui l’avait accueilli comme stagiaire, Raphaël Angeles s’est délocalisé dans le canton du Jura pour continuer à allier ingénierie et durabilité. Il travaille sur des modélisations hydrauliques pour des projets de protection contre les crues, sur l’assainissement d’une ancienne centrale hydroélectrique et sur les dangers liés au ruissellement. A côté de son travail, l’alumni nourrit d’autres passions pour la danse, la mycologie et la montagne.

Un enjeu majeur de la biodiversité en Suisse
Les centrales hydroélectriques au fil de l’eau sont souvent gérées en Suisse par des concessionnaires privés. La révision de la loi fédérale sur la protection des eaux (LEaux) en 2011 les met dans l’obligation d’achever leur assainissement écologique d’ici 2030. Des subventions encourageant ces rénovations existent au niveau fédéral. Elles permettent aux propriétaires de centrales de revendre leur courant plus cher, grâce à une certification écologique.

Présentes depuis plus d’un siècle, les centrales hydroélectriques au fil de l’eau transforment peu à peu les cours d’eau en écoulement libre en une succession de retenues. Les barrages mobiles font obstacle aux poissons migrateurs et retiennent les pierres charriées par le courant. L’assainissement au niveau des centrales n’est toutefois qu’une partie d’un travail plus vaste de renaturation des cours d’eau nécessaire à la conservation de la biodiversité. Car les rivières subissent de multiples pressions, à l’instar de leur canalisation, leur déconnection des zones inondables, et sont soumises à de fortes variations de débits par éclusé. Leurs écosystèmes souffrent aussi de la présence de micropolluants et de pesticides.

L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) indique ainsi qu’en 150 ans, neuf espèces de poissons ont été considérées comme éteintes dans les cours d’eau de Suisse, dont la totalité des poissons dits migrateurs de longue distance (saumon, truite de mer, grande alose, chepia, esturgeon européen, esturgeon d’Adriatique, lamproie de rivière). L’ombre de rivière, étudiée dans le travail de Raphaël Angeles, est actuellement considérée comme «en danger». Les autres espèces restent menacées ou potentiellement menacées. L’OFEV indique qu’en 2019, 30'000 ombres de rivière ont été pêchées contre 80'000 en 2000.
Références

Raphaël Angeles, Patrick Della Croce, Federico Ferrario, Giovanni De Cesare, "Ecological Flow Assessment: Balancing Trout and Grayling Habitat Ecology and Hydroelectric Production", Sustainability, 31 October 2024.  https://doi.org/10.3390/su16219473


Auteur: Sandrine Perroud

Source: People