Trois options pour préserver un site néolithique
Une étude de l’EPFL mandatée par le canton de Berne propose trois manières de protéger le site archéologique de Sutz-Lattrigen. Ce rare témoignage de la vie des Lacustres a été inscrit en 2011 au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Une digue submergée, une digue apparente ou un matelas de protection constitué d’éléments de béton. Telles sont les trois variantes proposées au canton de Berne par des experts de l’EPFL pour protéger de la destruction le site archéologique de Sutz-Lattrigen, situé au bord du lac de Bienne. Trois variantes qui visent à stopper l’apparition de fortes vagues, responsables de l’érosion d’objets, de pilotis et de nombreux vestiges d’une civilisation remontant au Néolithique. Mandaté en 2015 par le canton de Berne, les experts défendront leur rapport final le 31 octobre en présence de différents représentants des autorités bernoises.
«Notre mission était d’évaluer la protection du fond du lac et la rive en étant le plus discret possible», explique Azin Amini, spécialiste des projets lacustres et directrice du projet mené par le Laboratoire de constructions hydrauliques (LCH). Dans ce but, le LCH a organisé plusieurs séances avec les principaux acteurs concernés par une intervention sur le site: protecteurs de l’environnement, des forêts et du paysage, représentants du Service archéologique cantonal et des bureaux d’ingénieurs déjà impliqués dans d’autres projets sur le lac de Bienne. Ces rencontres ont permis de définir des critères d’acceptabilité tels que la protection de l’objet, la protection de la rive, la durabilité de la solution, l’impact sur le paysage et l’environnement, durant la mise en place de la protection et après son installation.
Lors de fortes tempêtes, les vestiges du site archéologique, pilotis en bois, armes, parures et autres objets du quotidien, sont emportés par les vagues. Ces objets sont ensuite considérés comme perdus. L’équipe du LCH a ainsi sélectionné les trois variantes de protection qui résistaient aux régimes de vent les plus destructeurs et considéré leurs manifestations les plus marquantes pour un temps de retour de 50 ans. Une modélisation numérique, étudiant les effets des vagues (génération, propagation, déformation) vers la rive sur tout le lac de Bienne a été nécessaire à cet effet.
Trois variantes
Au bout du compte, les trois options retenues par l’équipe d’Azin Amini ont donc été conçues et adaptées au lac de Bienne. La première variante propose de construire une «avant-digue» à quelques mètres de la rive pour casser la force des courants, et de couvrir le site derrière la digue avec enrochement. L’enrochement est un composé de graviers immergés et répartis sur le site, formant un tapis protecteur. La hauteur de la digue a l’avantage de rester 20 centimètres en dessous du niveau des basses eaux, ce qui la rend peu visible. L’ajout de mesures de «génie biologique», constituées de plantes, permet de garantir la stabilité de la mesure de protection. En deuxième variante, la construction d’une «digue circonférentielle» vise également à stopper les courants et les vagues qui érodent le site archéologique mais, cette fois-ci, de manière quasi totale. Longue de plus 340 mètres, elle sera visible depuis la rive.
Enfin, le LCH suggère en troisième variante de s’attaquer directement à l’érosion du site immergé en y déposant un «matelas de protection» constitué d’un filet de géotextile ou d’acier inoxydable et de blocs de béton, faisant ressembler le tout à une plaque de chocolat souple. Cet aménagement peut être ôté en cas de besoin. Là aussi, des mesures de génie biologique sur la rive accompagnent le projet.
Sur les traces des Lacustres
Le site bernois est l’un des rares témoignages de la vie des «Lacustres», des hommes qui ont choisi pour la première fois la sédentarisation aux bords de lacs, plus de 5000 ans avant notre ère. C’est en abaissant le niveau des trois lacs du Jura, à la fin du 19ème siècle, que sont apparus ces vestiges, sous la forme de villages sur pilotis. En Europe, seuls six pays possèdent des tels sites palafittiques: la France, la Suisse, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche et la Slovénie. En Suisse, seize cantons apparaissent dans la liste répertoriée par l’UNESCO. L’ensemble de Sutz-Lattrigen y figure depuis 2011.
En 2014, une mesure de protection du site bernois à l’aide d’un tissu retenu par du gravier et du géotextile lesté a été déployée sur les traces du village immergé. Cette solution ne s’est toutefois pas révélée durable en raison de la force du courant. «Nous avons réalisé ces dernières années que la forte érosion observée à Sutz-Lattrigen était unique en comparaison avec les autres sites palafittiques classés par l’UNESCO. Il nous fallait donc une étude approfondie de la situation. Le rapport de l’EPFL est donc très important à nos yeux car il permet de comprendre précisément ce qui s’y passe», précise Marianne Ramstein, archéologue et adjointe à la section d’archéologie préhistorique et sous-marine du canton de Berne. «La prochaine étape pour nous consistera à trouver l’option la plus réalisable et à en chiffrer les coûts.»