Traquer les maladies jusqu'au cœur des cellules
Imagerie par résonance magnétique, ultrasons ou encore scanner à rayons X, l’imagerie médicale ne cesse de se développer pour devenir toujours plus puissante et plus précise, notamment avec l’essor de l’intelligence artificielle. À l’EPFL, plusieurs laboratoires contribuent à ces avancées et façonnent l’avenir de ce domaine.
Les médecins sont capables d’identifier un os brisé, de détecter une tumeur, ou encore d’observer un bébé in utero, le tout de manière non invasive pour les patientes et patients. Jusqu’où pouvons-nous voir à l’intérieur du corps humain? Le domaine de l’imagerie médicale ne cesse de se développer dans le but d’obtenir des images toujours plus précises et de repérer des anomalies plus petites. Le professeur Dimitri Van De Ville identifie deux tendances concernant l’imagerie à résonance magnétique (IRM). «Un premier domaine de recherche crée des machines avec un champ magnétique plus puissant dans le but de détecter des anomalies plus petites telles que des microlésions ou des cellules cancéreuses se trouvant à un stade précoce de développement», explique le directeur du Laboratoire de traitement d’images médicales de l’EPFL.
Les appareils d’IRM les plus courants dans les hôpitaux sont dotés d’un champ magnétique de 1,5 ou 3 Tesla. Des scientifiques du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, près de Paris, ont développé, quant à eux, le dispositif le plus puissant du monde, où le champ magnétique atteint 11,7 Tesla.
Du côté de l’EPFL, les scientifiques travaillent avec leur propre engin, situé au Centre d’imagerie biomédicale (CIBM), qui affiche 7 Tesla. Ce genre de machine ultraperformante permet de cartographierin vivo les cerveaux humains par couches neuronales. «Nous arrivons ainsi à mieux comprendre les structures du cerveau, car aujourd’hui tout n’est pas clair sur ce qu’elles représentent vraimen t», explique Friedhelm Hummel, professeur et titulaire de la Chaire Defitech de recherches en neuro-ingénierie clinique et interaction homme-machine à l’institut Neuro-X.
La seconde tendance est à l’inverse de réduire ce champ magnétique, bien en dessous de 1,5 Tesla, sans péjorer le contenu d’information dans l’image diagnostic, afin de fabriquer des machines moins chères, plus faciles à transporter et à installer, notamment dans des pays en développement. «Ceci est rendu possible grâce aux avancées de la technologie, comme celles des capteurs, des dispositifs ou encore du traitement des données qui se font en partie à l’EPFL», explique Dimitri Van De Ville.
Plus nous montons dans le champ magnétique, plus nous mesurons des signaux d’informations fins et subtils.
Les ultrasons reviennent sur le devant de la scène
La technologie des ultrasons, qui permet de réaliser des échographies, entre autres, n’a que peu évolué depuis son invention. «On se sert des ultrasons pour observer un mouvement comme les battements d’un cœur ou un bébé qui bouge», illustre Jean-Philippe Thiran.
Depuis une dizaine d’années, les ultrasons connaissent pourtant un renouveau grâce aux possibilités d’effectuer des calculs en temps réel. «Les machines de pointe sont munies de calculateurs extrêmement puissants qui peuvent traiter de grandes quantités de données en temps réel. Nous pouvons désormais détecter les propriétés physiques de tissus telles que l’élasticité. Cela s’avère utile pour déceler des pathologies du foie comme la cirrhose», explique le professeur.
À cela s’ajoute l’amélioration de la vitesse. Les appareils à ultrasons sont capables de générer entre 30 et 40 images par seconde. Grâce à une puissance de calcul accrue, le corps médical bénéficiera dans un avenir proche de dispositifs produisant entre 1000 et 2000 images par seconde. «Cela permettra de mesurer des processus dynamiques tels que le flux sanguin, notamment dans le domaine de l’imagerie cérébrale», déclare Jean-Philippe Thiran.
La révolution de l’intelligence artificielle
L’imagerie médicale du futur se fera également avec l’intelligence artificielle, l’apprentissage machine, le traitement des données et les algorithmes, éléments désormais incontournables. «L’IA est en train de révolutionner la pratique, car elle va permettre la conjonction d’informations de plusieurs modalités médicales. Bientôt, les médecins pourront combiner les résultats d’une IRM avec ceux d’une radiographie ou même de rapports médicaux pour obtenir une vue d’ensemble sur une pathologie ou un organe», explique Dimitri Van De Ville.
Ce dernier imagine un outil interactif auquel les spécialistes posent des questions afin d’acquérir des prédictions. «L’intelligence artificielle segmente déjà des images et détecte des anomalies, mais cela va aller plus loin et devenir plus puissant», poursuit celui qui mène des recherches sur la modélisation du cerveau humain. «Nous parlerons bientôt d’imagerie médicale computationnelle ou calculatoire. Le but de ces développements techniques reste de mieux comprendre les organes humains et l’identification de maladies», ajoute Jean-Philippe Thiran.
Le professeur spécialiste des ultrasons relève toutefois les limites de ces avancées. «Il faudra entraîner l’intelligence artificielle suivant des modèles que nous maîtrisons afin qu’elle crée des images et prédictions correctes. Sinon, elle peut produire des hallucinations», avertit Jean-Philippe Thiran. L’IA devra donc absorber une quantité de données importante et des algorithmes robustes pour s’avérer optimale.
Friedhelm Hummel soulève quant à lui des questions éthiques liées à l’usage de l’intelligence artificielle. «Si l’imagerie médicale du futur permet d’anticiper un trouble comme la maladie d’Alzheimer avec une certaine probabilité des années avant même qu’elle ne soit cliniquement apparente, devrons-nous — et comment — communiquer cette prédiction au patient, sans être certains qu’elle surviendra, d’autant plus qu’à ce jour il n’existe pas de traitement?» s’interroge-t-il. Comme tout progrès technologique, celui-ci devra s’accompagner de questionnements moraux importants d’autant plus qu’il touche au plus profond de l’individualité de chacun.