Solutions et dérives au menu du Prix Durabilis 2024

Luana Ferrari, Vibhu Baibhav, Julia Gallmeier, Eloïse Richard, Julien Pignat © 2024 UNIL Fabrice Ducrest + DR

Luana Ferrari, Vibhu Baibhav, Julia Gallmeier, Eloïse Richard, Julien Pignat © 2024 UNIL Fabrice Ducrest + DR

Comment assurer une économie décarbonée en 2050? Quelles nouvelles formes d’habitat inventer? Les lauréates et lauréats du prix remis par l’EPFL et l’UNIL proposent des pistes et avertissent aussi de certains dangers.

Le prix Durabilis récompense chaque année des travaux estudiantins comportant une forte composante de durabilité et ayant remporté une note supérieure à 5 sur 6. Cinq lauréates et lauréats issus de l’EPFL et l’Université de Lausanne (UNIL) remportent cette année un prix (1000 francs pour les thèses de Master, 500 pour celle de Bachelor) pour l’excellence de leur travail, parmi 38 dossiers soumis. La cérémonie a eu lieu jeudi 28 novembre.

Les projets des trois étudiantes et étudiants EPFL mettent en avant des solutions concrètes pour une transition vers un futur plus durable. Ceux des deux étudiantes UNIL abordent certains obstacles politiques et idéologiques contraires à des idéaux durables. Le président du jury, le professeur Philippe Thalmann du Laboratoire d’économie urbaine et de l’environnement de l’EPFL, n’a pas tari d’éloges lors de la remise de ces prix, évoquant tour à tour leur «caractère remarquable» et la «sensibilité», la «profondeur», la «rigueur» ou la «finesse» de ces travaux.

Revenir à des usages pré-modernes de l’habitat

Le projet de master de Luana Ferrari, diplômée de la section d’architecture de l’EPFL, s’intitule «Transhumance: En quête d’un confort durable» et concerne la reconversion d’une ancienne usine en logements collectifs bioclimatiques. Dans ce projet, elle appelle à reconsidérer la notion deconfort domestique qui s’est «comme dissociée de la réalité environnementale, et sociale». Selon elle, les logiques consuméristes du 21ème siècle ont ainsi conduit à un «hyperconfort». Son projet de transformation de cet espace industriel s’inspire de pratiques pré-modernes pour tenir compte de l’orientation et des saisons selon les besoins et les usages, ce qui invite à «migrer, horizontalement ou verticalement, au travers du bâtiment au fil de l’année, à la recherche du microclimat idéal». L’habitat communautaire qu’elle imagine encourage le partage des ressources et une adaptation saisonnière des espaces communs.

Maquette : Luana Ferrari

Réutilisation de locaux et de matériaux

Un peu dans la même veine, Julien Pignat, également diplômé de la section d’architecture, explore le réemploi des matériaux de construction. Son projet se concentre sur le réaménagement d’une partie du site des Plaines-du-Loup à Lausanne, pour lequel il propose la transformation de bâtiments existants, aujourd’hui dédiés au Service des automobiles et de la navigation. Avec des matériaux récupérés de la démolition des halles de Beaulieu, à deux kilomètres du site, son plan est de construire une école et des salles de sport en partant de l’existant. Son approche se veut également sociale, en proposant une diversification des activités sur la parcelle et l’optimisation des espaces en dehors des horaires scolaires.

Un modèle d’énergies pour des industries décarbonées

La thèse de master de Vibhu Baibhav, diplômé de génie mécanique et doctorant en Ingénierie des procédés industriels et des systèmes énergétiques à l’EPFL, porte sur la décarbonisation des industries européennes les plus énergivores. Son étude présente un modèle d’optimisation du système énergétique pour identifier des voies de production durables qui permettent de trouver un équilibre entre les besoins économiques et les objectifs environnementaux. La capture du carbone, l’électrification de l’industrie, des transports et du bâtiment, ainsi que la mise en valeur de la biomasse sont selon lui les stratégies les plus efficaces pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais sans développement suffisant des énergies vertes, certains secteurs pourraient avoir de la peine à fonctionner, souligne-t-il.

Questions politiques et philosophiques

Du côté de l’Université de Lausanne, les étudiantes primées, toutes deux diplômées de la Faculté des géosciences et de l’environnement, soulèvent des questions de fond, juridico-politiques pour l’une et philosophiques pour l’autre, chacune pointant certaines dérives possibles en matière environnementale.

Le mémoire de bachelor de Julia Gallmeier examine l’impact du Traité sur la charte de l’énergie (TCE) sur les politiques climatiques de ses pays-membres. Le TCE protège les investisseurs étrangers à travers un mécanisme d’arbitrage qui leur permet d’obtenir des compensations financières en cas d’atteinte à leurs intérêts. Ainsi une société basée en Suisse a attaqué l’Allemagne dans sa volonté de fermer une centrale à charbon. L’étudiante a calculé qu’en Allemagne, le volume des émissions carbone imputables à des entreprises basées en Suisse et potentiellement protégées par le TCE dépassent les émissions annuelles de la Suisse. Maintenant que l’Union européenne cherche à empêcher les arbitrages entre ses pays membres, un danger serait que la Suisse devienne «un lieu d’implantation privilégié par les grandes entreprises fossiles cherchant la protection du TCE», relève la jeune diplômée.

Abordant un autre sujet d’inquiétude, Eloïse Richard s’est concentrée quant à elle dans son mémoire de master sur l’histoire intellectuelle et politique du malthusianisme environnemental en France au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Ce concept, sous-tendant l’idée que nous serions trop sur terre, associe les crises environnementales à la surpopulation. Il a influencé divers mouvements politiques écologiques ou anarchistes, ainsi que des partis colonialistes, nationalistes et xénophobes. Le mémoire de l’étudiante souligne ainsi les dangers de l’appropriation du malthusianisme environnemental par l’extrême droite, qui l’a utilisé pour justifier des politiques sexistes et xénophobes. Eloïse Richard a conclu sa présentation sur «l’importance de construire une écologie antifasciste».


Auteur: Emmanuelle Marendaz Colle

Source: Durabilité

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