«Si une opportunité se présente à moi, je la saisis.»

Wouter Karthaus dans son laboratoire. Crédit: Alain Herzog (EPFL)

Wouter Karthaus dans son laboratoire. Crédit: Alain Herzog (EPFL)

Wouter Karthaus, professeur assistant tenure track à la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL, est passé de la chimie à la mise au point d’organoïdes. Il utilise désormais ces derniers pour étudier le cancer.

Wouter Karthaus est professeur assistant tenure track à la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL (Institut Suisse de Recherche Expérimentale sur le Cancer – ISREC). Ses recherches portent sur la biologie et le développement du cancer dans les organes régulés par les hormones stéroïdiennes, tels que la prostate, la glande mammaire et l’endomètre. Son laboratoire adopte une approche multidisciplinaire, combinant les cultures d’organoïdes, les modèles de souris, la génomique et les techniques unicellulaires.

Qu’est-ce qui vous a amené à étudier les sciences?

Je m’intéresse à la biologie depuis mon plus jeune âge et à la chimie depuis le secondaire. Ces deux passions ont débouché sur les sciences moléculaires de la vie, que j’ai étudiées dans le cadre de mon Bachelor et de mon Master que j’ai effectués aux Pays-Bas. Pour mon Master, je suis allé à l’université Johns Hopkins de Baltimore, où j’ai travaillé sur le cancer de la prostate pour la première fois.

Ensuite, je suis retourné aux Pays-Bas pour mon doctorat au sein du laboratoire de Hans Clevers de l’Institut Hubrecht. Là-bas, j’ai d’abord travaillé sur les cellules souches de l’intestin, puis j’ai combiné cela avec mes connaissances sur le cancer de la prostate pour mettre au point un modèle de culture d’un mini-organe de la prostate dans une boîte de Pétri. Ce système a gagné en popularité dans la recherche sur le cancer de la prostate. Pour mon postdoc, j’ai rejoint le laboratoire de Charles Sawyers. Nous y avons développé un modèle organoïde de cancer de la prostate qui est devenu insensible aux médicaments, et nous avons découvert que l’inhibition de deux voies, JAK-STAT et FGFR, pouvait rendre les cellules à nouveau sensibles aux médicaments.

Je n’ai pas de plan de carrière défini à long terme. Je me laisse porter par le vent et cela mènera bien quelque part, à condition qu’une opportunité se présente. Dans l’une de ses chansons, Steve Winwood dit que si une opportunité s’offre à vous, il faut la saisir. J’essaie de vivre selon ce principe: si une opportunité se présente à moi, je la saisis.

Utilisez-vous les organoïdes pour créer un modèle aussi réaliste que possible de la prostate humaine?

Oui, et c’est la première étape. Mais, pour améliorer le système, nous devons le rendre plus fidèle à l’organe réel, car les cellules de la prostate vivent longtemps et se divisent lentement, alors que nous les cultivons rapidement dans la boîte de Pétri. Nous essayons de réécrire le mode d’emploi de la culture des cellules en boîte de Pétri en changeant la façon dont nous les cultivons avec des facteurs de croissance. Nous voulons qu’il ressemble davantage à l’organe réel du corps, comme le codage d’un programme informatique.

Nous voulons disposer de modèles de cancer de la prostate aussi réalistes que possible pour pouvoir réfléchir à la manière dont les cellules réagissent au traitement médicamenteux et deviennent résistantes à celui-ci. Quand vous traitez une cellule cancéreuse de la prostate par le biais d’une thérapie antiandrogénique, il y a en principe trois possibilités: la première, elle meure. La deuxième, elle perdure, ce qui signifie qu’elle ne fait pas grand-chose, elle est juste là. Elle ne se divise pas, ne se développe pas. La troisième, elle résiste. Elle n’est pas sensible aux médicaments. Et cet état persistant est un état précurseur de la résistance. En utilisant ces systèmes organoïdes, nous essayons de comprendre comment ces cellules cancéreuses de la prostate persistent et deviennent résistantes.

Chaque personne a un cancer unique. L’ADN est muté d’une manière unique et pour le cancer de la prostate. Je pourrais probablement vous citer 30 à 40 façons différentes dont l’ADN peut muter et entraîner un cancer de la prostate. Par conséquent, l’évolution du cancer de la prostate peut aussi fortement varier entre les individus. Nous nous demandons donc quelles mutations sont importantes dans les états de persistance et de résistance. Le point de départ des mutations a-t-il une importance ou y a-t-il toujours une évolution similaire de la tumeur qui les rendra résistantes?

Utilisez-vous l’analyse génomique?

Il y a beaucoup de génomique dans tout ça. Ce que nous essayons de faire, c’est d’effectuer ces modifications génomiques de manière systématique: nous faisons évoluer une tumeur dont nous connaissons le point de départ, et nous lui donnons une seule mutation. Supposons que nous ayons des mutations A, B et C. À partir de la même population de cellules, nous pouvons produire une mutation A, une mutation B et une autre mutation C. Ensuite, nous pouvons les analyser étape par étape, observer l’évolution de la tumeur et poser des questions sur la persistance et la résistance aux médicaments.

Bien évidemment, de nombreuses techniques moléculaires entrent en jeu, mais notre objectif ultime est de rendre la thérapie actuelle plus efficace. Si les cellules deviennent résistantes, pouvons-nous trouver de nouvelles thérapies contre elles ou pouvons-nous prévenir cette résistance en comprenant simplement l’évolution de la tumeur?

Quels ont été les temps forts de votre carrière jusqu’à présent?

Je pense que j’ai apporté trois contributions vraiment intéressantes. L’une d’elles est la création du système qui a permis d’élaborer une méthode de modélisation pour la recherche sur le cancer de la prostate. Aujourd’hui, une centaine de laboratoires utilise ma technique. J’en suis très fier.

Une autre de mes contributions est que nous comprenons maintenant comment une cellule cancéreuse de la prostate différenciée ou normale peut devenir persistante. Nous savons dorénavant comment ces «choix» sont faits sur une base moléculaire, par le biais de deux voies de signalisation, le JAK-stat et le récepteur du facteur de croissance des fibroblastes (FGFR). En revanche, nous ignorons lequel sera le plus important. C’est la question que nous nous posons. Mais ce concept de persistance a également été repris par de nombreux laboratoires. Nous avons été les premiers à l’inventer, même si cela paraît toujours un peu arrogant de dire que l’on est les premiers. Mais ces laboratoires préparent actuellement un essai clinique de phase 1. Ils tentent en fait de l’appliquer aux patientes et patients atteints d’un cancer de la prostate. Une société américaine a créé un inhibiteur du FGFR et prévoit de l’utiliser sur des patientes et patients atteints d’un cancer de la prostate.

Quelles techniques utilisez-vous?

Nous utilisons principalement des organoïdes, mais nous les analysons à l’aide de diverses techniques. Nous utilisons le séquençage de l’ARN d’une cellule unique et le séquençage ATAC pour comprendre le transcriptome et la structure de la chromatine des cellules. Nous développons également l’imagerie en direct avec une résolution unicellulaire pour observer les choix que font les cellules cancéreuses dans les états de résistance aux médicaments. Nous disposons d’une technique de codage couleur des cellules en fonction de leur état, ce qui nous permet de voir où les cellules résistantes aux médicaments apparaissent en temps réel. Nous utilisons l’édition génomique pour donner aux cellules des couleurs spécifiques, ce qui nous permet d’étudier comment les cellules normales réagissent aux médicaments. Nous avons des couleurs différentes selon les états persistants et résistants, car ils se déclinent dans de nombreuses «sortes».

Travaillez-vous avec l’une des plateformes technologiques?

La culture d’organoïdes est très coûteuse, c’est pourquoi nous travaillons avec la plateforme technologique de production et structure des protéines, en essayant de limiter les coûts. Cette plateforme joue un rôle inimaginable dans la création de facteurs de croissance recombinants pour la culture d’organoïdes. Nous travaillons également avec les animaleries et, à l’avenir, grâce au séquençage, nous collaborerons avec la plateforme technologique d’expression génétique.

Pourquoi avez-vous choisi l’EPFL ?

J’ai envoyé ma candidature à plusieurs établissements, mais ce que l’EPFL offre comme infrastructure aux scientifiques débutants est exceptionnel. Lorsque je travaillais au Memorial Sloan Kettering Cancer Center, c’était seulement le cancer et tous les laboratoires pensaient de la même manière, ce qui est un frein à la créativité. Alors qu’ici, vous avez des groupes très variés qui travaillent sur les mêmes problèmes tout en les abordant de manière complètement différente. Cela me plaît beaucoup car nous pouvons traiter les mêmes problèmes sous tellement d’angles différents, poser des questions et trouver de meilleures solutions. C’est quelque chose qui m’a vraiment incité à rejoindre l’EPFL. Peu d’écoles de sciences de la vie peuvent se targuer d’avoir une branche technologique d’un si haut niveau. Pour cela, l’EPFL est vraiment formidable.

L’environnement est tout simplement extraordinaire, c’est inégalable. Les gens ici sont brillants. Par exemple, si vous demandez à des Américaines ou Américains s’ils connaissent un centre de recherche sur le cancer en Europe, ils vous répondront l’ISREC. Ils connaissent cet endroit et pensent qu’il est vraiment exceptionnel.

Enfin, l’attractivité de l’EPFL à l’international est très importante pour moi. J’aime le fait qu’il y ait tant de nationalités différentes ici. C’est très important. J’apprécie le fait d’avoir différents types de personnes, différentes façons de penser, différentes idées, dans le laboratoire, mais aussi autour de moi. Cela stimule la créativité.

Qu’aimeriez-vous réaliser ici?

Bien entendu, je veux faire une science de qualité et à fort impact. Ce que j’aimerais vraiment, c’est que nous identifiions de nouveaux moyens de rendre les traitements du cancer de la prostate plus efficaces ou d’en développer de nouveaux qui soient résistants aux médicaments anti-androgènes classiques. J’aime ces concepts de cancer et la façon dont la tumeur évolue, et j’aimerais vraiment voir si nous pouvons les appliquer à différents types de cancer. Aussi, nous travaillons un peu sur les cancers du sein et de l’endomètre.

Nous voulons également créer une plateforme d’organoïdes. Actuellement, une personne est en formation dans mon laboratoire sur toutes les techniques d’organoïdes. Elle travaillait avec des levures et n’avait donc que très peu d’expérience en matière de culture cellulaire. Mais elle deviendra aussi experte en organoïdes!

Laboratoire de Wouter Karthaus

À propos de l’ISREC: l’Institut Suisse de Recherche Expérimentale sur le Cancer (ISREC) fait partie de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL. Ses équipes de recherche étudient un ensemble de systèmes biologiques qui sont diversement cooptés ou perturbés au cours du développement du cancer, ainsi que les mécanismes qui modulent l’homéostasie cellulaire et le développement des organes.