Si les arbres pouvaient parler, que demanderaient-ils à l'ingénierie?

Arboreal Futures, EPFL Pavilions © Julien Gremaud, Climanosco 2024

Arboreal Futures, EPFL Pavilions © Julien Gremaud, Climanosco 2024

Artiste en résidence au Laboratoire d’écologie végétale (PERL), Krzysztof Wronski présente une série d’installations originales et saisissantes, exposées jusqu’au 5 janvier 2025 à EPFL Pavilions.

Chercheur, designer et artiste, Krzysztof Wronski (dit Chris) travaille à la croisée de défis émergents et urgents. Lors de sa résidence artistique dans le cadre du programme Dear2050, organisé par l’association Climanosco, il a collaboré avec des chercheurs du laboratoire PERL de l’EPFL, dédié à l’écologie végétale. Une partie de son œuvre, exposée aux côtés d’une installation de l’artiste et performeuse Maja Renn, est présentée dans le cadre de l’exposition Arboreal Futures, qui se déroule du 13 novembre 2024 au 5 janvier 2025 à EPFL Pavilions.

S’inspirant des dernières recherches sur les dangers du changement climatique pour les arbres, les forêts et les communautés qui en dépendent, les interventions artistiques de Chris Wronski visent à améliorer les conditions de vie des arbres en suscitant la réflexion sur leurs besoins. Ses œuvres conceptuelles explorent des défis sociaux et écologiques, tout en favorisant la participation et l’imagination de solutions potentielles.

A travers des ateliers de design «centrés sur les arbres» afin de dépasser les méthodes centrées sur l’humain, Chris Wronski examine comment les processus technologiques et d’innovation pourraient évoluer pour répondre aux besoins des arbres et des forêts.

«Dans ces ateliers, j’invite des experts en foresterie, ainsi que des designers, artistes et membres de la communauté à se familiariser avec les diverses menaces auxquelles les arbres font face. Ensemble, nous explorons les concepts et les relations entre les arbres et les humains, en donnant la priorité aux besoins des arbres. Quelles interventions pouvons-nous imaginer – qu’elles soient réalistes, fantastiques, ou quelque part entre les deux – qui pourraient soulager le stress menaçant les arbres? Dans quelle mesure les humains devraient-ils intervenir – ou non – en prenant conscience de l’ampleur du péril auquel font face d’autres espèces? Quel rôle la technologie et l’innovation devraient-elles jouer, si tant est qu’elles en aient un?»

Résidence artistique

En juillet 2023, Chris Wronski a passé un mois avec l’équipe du PERL, pendant lequel il a participé aux travaux de terrain, interviewé les chercheuses et chercheurs, et animé de tels ateliers de design.

«Collaborer avec le labo PERL a été incroyablement enrichissant et stimulant», se souvient Chris Wronski. «J’ai énormément appris sur les arbres et pu impliquer l’équipe dans des exercices créatifs et des retours d’expériences. J’ai ainsi vu de près l’engagement et l’éthique incroyable des personnes qui la composent.»

«Lors des visites de terrain, nous nous levions à 4h30 pour prendre des mesures, quelles que soient les conditions météo. Nous parcourions des centaines de kilomètres pour installer du matériel, et avons travaillé ensemble à des solutions créatives pour des problèmes du quotidien sur des sites de recherche isolés. Ces expériences m’ont conduit à intégrer certaines de leurs méthodes dans mon propre travail.»

Assistance à la relocalisation aérienne

L’une des installations de Chris Wronski dans Arboreal Futures explore des approches ludiques pour la migration assistée de populations végétales, ce qui revient à déplacer des graines vers de nouveaux habitats, puisque les arbres sont confrontés à des conditions de plus en plus hostiles sous les latitudes méridionales. Utilisant un drone commercial, un panier télécommandé et des parachutes biodégradables fabriqués en paille et papier kraft, Chris Wronski imagine une méthode pour déplacer les glands de chênes issus de zones urbaines vers des lieux où ils auront plus de chances de survivre.

«Cette démarche peut être vue comme une forme de contestation politique», suggère Chris Wronski. «Par exemple, en larguant des glands sur un terrain de golf pour protester contre une gestion du paysage qui privilégie les besoins humains avant tout.»

Dans l’exposition, on découvre ainsi ces petits parachutes artisanaux suspendus au plafond, pendant qu’une vidéo retrace le largage des glands sur un green.

Retour aux années ‘50

Une autre installation s’inspire de la visite de Chris Wronski à l’Institut fédéral de recherche sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), près de Zurich. Là-bas, il a découvert la Model Ecosystem Facility (MODOEK), où des équipes de recherche simulent des conditions plus chaudes et plus sèches pour étudier la tolérance au stress de hêtres et chênes locaux dans des scénarios climatiques futurs.

«Dans les chambres les plus chaudes et les plus sèches, pas besoin d’être un scientifique pour comprendre la gravité de la situation: les arbres ne vont pas bien», observe Chris Wronski.

Cette expérience a inspiré une autre œuvre vidéo présente dans l’exposition, intitulée Feels Like 1950. Dans cette installation, une structure a été construite autour d’un arbre afin de recréer les conditions environnementales de 1950 pour réduire son stress thermique et hydraulique. Le système mesure et affiche en continu les différences entre l’intérieur de la structure et l’environnement extérieur ambiant, imitant une expérience scientifique, mais avec l’artiste au chevet de l’arbre.

«Feels Like 1950 n’est pas censé être une solution», explique Chris Wronski. «C’est une réflexion sur notre impact sur d’autres espèces, la manière dont nous les priorisons, et les ressources nécessaires pour les protéger. Avec la hausse des températures et des conditions plus sèches, de nombreux arbres ne pourront pas survivre là où ils se trouvent actuellement. Cela menace non seulement des espèces individuelles, mais aussi les services écosystémiques qu’elles fournissent aux communautés voisines.»

L’arbre migrant

L’exposition inclut également Migrating Tree, un prototype de véhicule conçu pour offrir une mobilité aux arbres, leur permettant de chercher des conditions plus favorables.

«Bien que les arbres puissent déplacer leur aire de répartition de manière progressive par la reproduction, le rythme du changement climatique dépasse leur capacité d’adaptation», souligne Chris Wronski. «Contrairement aux animaux et aux humains qui peuvent migrer physiquement, les arbres ne peuvent pas bouger durant leur vie. À mesure que les conditions se détériorent, les espèces d’arbres indigènes pourraient disparaître de régions entières.»

Le prototype s’inscrit dans un projet plus vaste que Chris Wronski développe avec Pietro Rustici, un ingénieur basé à Barcelone: une plateforme mobile autonome pour relocaliser les arbres vers le nord en suivant les changements climatiques, de la Suisse à la Suède.

Champignons protestataires

Enfin, un autre élément fantaisiste et mémorable de l’exposition est Protest Mushrooms, des petits mécanismes interactifs qui réagissent aux mouvements en chantant pour dénoncer les pratiques d’aménagement nuisibles aux écosystèmes forestiers. Les sons diffusés viennent de ’nSchuppel, un groupe suisse de yodel. En mêlant ainsi des pratiques culturelles anciennes à de nouvelles perspectives, l’artiste cherche à «attirer l’attention sur ce qui est souvent négligé ou considéré comme immuable».

A nouveau, une vidéo accompagne l’installation, montrant ces champignons dans un parking de supermarché voisin d’une forêt afin de sensibiliser à la perte de biodiversité qu’engendrent les constructions.

«Les solutions qui nous manquent»

Toutes ces œuvres invitent à réfléchir à la fragilité des plantes et à la responsabilité humaine pour leur préservation. Et l’équipe de PERL, qu’a-t-elle pensé des traductions artistiques de leur domaine de recherche par Chris Wronski?

«Je crois qu'on est tous d'accord que cela a été une belle expérience», estime Janisse Deluigi, doctorante. «C'est important de faire ce genre de projet, parce que nous, on est beaucoup dans notre bulle. On publie des articles scientifiques, mais cela reste dans le domaine académique, et on n’a pas les capacités de toucher le grand public. Les forêts sont des beaux endroits qu'on aime tous, mais le changement climatique va pas mal les affecter. Et ce que j’ai bien aimé du travail de Chris, c'est qu’il imagine les solutions qui nous manquent en réalité.»

Voir le programme de visites guidées pendant les fêtes sur le site d'EPFL Pavilions