Science et ingénierie face à la crise environnementale
Avec une vingtaine de contributions «maison» et trois conférences invitées, le premier Symposium Recherche & Durabilité de l'EPFL a mis en évidence la diversité et la complémentarité des approches scientifiques et d'ingénierie actuelles.
Le 16 mai 2024, l'EPFL a présenté un impressionnant panorama de chercheuses et chercheurs issus de ses laboratoires, centres, plateformes et diverses initiatives au cours du premier Symposium Recherche & Durabilité. Lancé par la Vice-présidence pour la transformation responsable et organisé en collaboration avec la Vice-présidence associée pour les centres et plateformes, la Vice-présidence associée pour la recherche, ainsi qu’E4S et Climact, ce symposium a également donné lieu à des conférences invitées et a attiré un public de près de 200 personnes tout au long de la journée.
Dans ses mots de bienvenue, Gisou van der Goot, vice-présidente pour la transformation responsable, a souligné l'énorme potentiel de synergies que représente la communauté EPFL. «De nos jours, la promotion de la durabilité est essentielle à la réputation d'une université. Elle montre que l'institution est responsable, qu'elle rend des comptes et qu'elle s'engage à relever les défis sociétaux auxquels nous faisons face. C'est ce que le corps estudiantin, les nouveaux professeur·es et la société recherchent et attendent de nous. Chaque personne au sein de l'institution a un rôle à jouer, que ses recherches ou ses études soient ou non liées à la durabilité. En tant qu'université, nous devons montrer l'exemple», a-t-elle déclaré.
À l'EPFL, nous rassemblons des personnes extrêmement intelligentes, et cette intelligence doit être utilisée en vue d’un monde meilleur.
Anna Fontcuberta i Morral, vice-présidente associée pour les centres et les plateformes, a enchaîné: «À l'EPFL, nous rassemblons des personnes extrêmement intelligentes, et cette intelligence doit être utilisée en vue d’un monde meilleur.»
Cette introduction a été suivie par une session de contributions invitées, parmi lesquelles celle de Sonia Seneviratne, vice-présidente du groupe de travail 1 du GIEC et professeure à l'ETH Zurich.
Appel à une action immédiate
Sonia Seneviratne a prononcé un discours engagé sur la crise climatique et la nécessité urgente de parvenir à des émissions zéro-net de CO2. Elle a souligné que les températures mondiales ont augmenté de 1,1°C depuis 2011, et que 2023 aura été l'année la plus chaude jamais enregistrée. L'augmentation du CO2 dans l'atmosphère étant principalement liée à notre dépendance aux combustibles fossiles, «la crise climatique est une crise énergétique», a souligné la Prof. Seneviratne. De plus, le CO2restant très longtemps dans l'atmosphère, il provoque des changements qui sont en grande partie irréversibles pour des centaines de générations.
Des chiffres inquiétants ont été présentés: la vague de chaleur extrême en Europe en 2022, qui a provoqué la mort de 61’000 personnes; les inondations dévastatrices au Pakistan, qui ont causé la même année plus de 1700 morts et 30 milliards de dollars de dégâts et de pertes économiques; les incendies de forêt au Canada en 2023, qui ont représenté trois fois les émissions annuelles habituelles du pays. Toutes les régions du monde sont touchées: la Suisse, par exemple, a vu sa température augmenter de plus de 2,5 °C depuis 1864.
Sonia Seneviratne a coordonné la contribution du groupe de travail 1 du GIEC au sixième rapport d'évaluation en 2021, qui représente la compréhension physique la plus récente du système climatique et de ses changements. Avec la participation de 234 autrices et auteurs principaux à travers 65 pays, ce rapport volumineux compte plus de 2000 pages ; pour une vue d'ensemble concise, sa coordinatrice recommande de lire le résumé de 10 pages.
Limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C pourrait réduire considérablement les risques pour l'approvisionnement alimentaire et la perte de biodiversité, a-t-elle expliqué. Dans sa présentation, Sonia Seneviratne a appelé à une action immédiate pour faire face à la crise climatique. La première étape essentielle consiste à réduire de moitié les émissions de CO2 d'ici à 2030 et à viser l'objectif zéro-net d'ici à 2040, soit une réduction de 90 % des émissions. «La fenêtre d'action se referme rapidement», a-t-elle averti.
«Actuellement, nous ne sommes pas sur la bonne voie pour atteindre ces objectifs», a mis en garde la Prof. Seneviratne. Elle a également énoncé que la transition vers une énergie sans émission coûterait moins que les dommages économiques causés par les sources d'énergie émettrices de carbone.
Le monde académique peut contribuer de multiples façons à accélérer le changement, tant par ses recherches que par ses actions.
L'action collective est essentielle pour faire face à cette crise. «Mais les individus peuvent aussi faire la différence s’ils modifient leur mode de vie, par exemple en adoptant un régime alimentaire sain et en prenant moins l'avion», a-t-elle déclaré. Selon elle, un monde sans émissions de CO2 offre de nombreux avantages connexes: réduction de la pollution atmosphérique et du bruit, amélioration de la santé, renforcement de la sécurité géopolitique par une diminution de la dépendance à l'égard des régimes autocratiques.
Sonia Seneviratne a invité le public à «rendre le changement irrésistible»: «Le monde académique peut contribuer de multiples façons à accélérer le changement, tant par ses recherches que par ses actions», a-t-elle conclu.
Travailler avec les parties prenantes
Michaël Aklin, professeur titulaire de la chaire de politique et de durabilité de l'EPFL et co-directeur d'E4S, a ensuite parlé des obstacles à la transition vers les énergies propres. A l'aide d'exemples tirés de ses recherches en Inde et aux Etats-Unis, il a montré que la technologie et la politique ne peuvent à elles seules résoudre les problèmes si elles sont déconnectées des besoins et des réalités des populations. «L'implication de l'État est nécessaire et inévitable», a-t-il lancé.
Peter Edwards, professeur émérite de l'ETH Zurich et président de l'Initiativepour larecherche sur le développement durable de l’Académie suisse des sciences naturelles, a fait écho à ce sentiment. Il a appelé à la coproduction de connaissances et au partage d'informations entre les différentes parties prenantes de la société et le monde universitaire afin de réussir la transition vers plus de durabilité. Un moyen prometteur de réaliser ce changement serait selon lui de mettre en place des grands programmes de soutien intégratifs - appelésProgrammes phares - afin de promouvoir de manière efficace la recherche et l'innovation pour un développement durable.
Un large éventail de sujets
Le reste de la journée a été consacré à des présentations de différents laboratoires, centres, plateformes et initiatives de l'EPFL. Parmi les sujets abordés figuraient des centres de données plus écologiques, de nouveaux matériaux biodégradables à base de champignons, la production de carburant à partir de l'énergie solaire, la lutte contre le blanchiment des coraux ou encore l'effet des nuages sur le climat. Deux projets MAKE gérés par des étudiantes et étudiants ont porté sur la réutilisation de matériaux dans la construction et sur un outil portable d'analyse ADN pour l'étude de la biodiversité sur le terrain.
Au cours de la troisième session, six centres affiliés à l'EPFL ont évoqué leurs actions en faveur d'un monde plus durable grâce à la coordination de la recherche, aux partenariats avec l'industrie et les gouvernements et à la sensibilisation de la société civile.
Ensuite, sept projets de l'initiative Solutions4Sustainability, financés par l'EPFL pour servir de démonstrateurs de mise à l'échelle sur le campus, ont présenté leurs progrès.
Le mot de la fin est revenu au professeur Harry Atwater de Caltech, aux États-Unis, qui s'est connecté par vidéoconférence pour présenter deux de ses récents projets. Harry Atwater est un scientifique souvent cité et un entrepreneur très actif dans le secteur des énergies vertes. Il a tout d'abord expliqué le rôle des océans dans le maintien de l'équilibre du CO2 dans l'atmosphère, et comment l'élimination du CO2 des océans pourrait être la voie la plus optimale pour la capture du carbone. Présentant une technologie qui permet d'éliminer le CO2 de manière efficace et propre, il a expliqué comment il est en train de la mettre à l'échelle avec la start-up Captura afin d'éliminer un million de tonnes de CO2 par an. Il a également détaillé comment le CO2 capturé peut être transformé en carburant à l'aide de l'énergie solaire, et a présenté les résultats de son groupe sur ce sujet.
«Ce fut une journée fantastique, au cours de laquelle nous avons appris des choses spécifiques sur la crise climatique et sur la manière dont nous pourrions relever certains des défis. Nous avons également appris ce qui est fait à l'EPFL et à quel point nous sommes engagés. Je suis très fière de l'énergie et des efforts que nous déployons dans ce sens», a conclu Anna Fontcuberta i Morral.