«Sans passion, on ne peut pas apprendre»

L'équipe du LAPIS avec Nicola Braghieri (3ème depuis la gauche) et Patrick Giromini (3ème depuis la droite) © Alain Herzog 2020 EPFL (image prise avant l'obligation de porter le masque)

L'équipe du LAPIS avec Nicola Braghieri (3ème depuis la gauche) et Patrick Giromini (3ème depuis la droite) © Alain Herzog 2020 EPFL (image prise avant l'obligation de porter le masque)

L’équipe pédagogique du Laboratoire pour les arts et les sciences (LAPIS) a reçu le prix du meilleur enseignement pour la section d’architecture. Rencontre avec Nicola Braghieri, responsable du LAPIS et son assistant-doctorant Patrick Giromini.

(La photo illustrant cet article a été prise avant l'obligation de porter le masque.)

Nicola Braghieri et Patrick Giromini forment un binôme italo-suisse qui a construit une solide relation, basée sur un respect mutuel. En 2013, ils ont posé les fondations du Laboratoire des arts pour les sciences (LAPIS), l’ont vu grandir pour atteindre 17 membres, et en récoltent aujourd’hui les fruits : le prix du meilleur enseignement de la section d’architecture décerné à l’entier de l’équipe pédagogique du LAPIS. La paire est unanime : la distinction est d’autant plus significative que l’EPFL, à dominante scientifique et technologique, récompense pour la première fois un laboratoire artistique. Au-delà de la gratitude, le professeur Nicola Braghieri et son assistant-doctorant Patrick Giromini confient que certains collègues méritaient tout autant ce prix.

Chez les deux architectes, flotte un petit esprit de rébellion, une touche d’anticonformisme. Ainsi, pour son diplôme obtenu à Gênes, Patrick Giromini a présenté «un projet à contre-courant, presque absurde pour les habitudes académiques italiennes», sourit Nicola Braghieri. «J’ai été fasciné par son courage d’avoir fait ce choix radical. Il a prononcé un discours très engagé à sa remise de diplôme.» Un premier pavé dans la mare est lancé, grâce auquel le jeune diplômé reste dans la mémoire du professeur, qui l’appelle des années plus tard pour monter le LAPIS.

Je cherche à aider au maximum les étudiants démotivés, ceux qui n’ont pas confiance en eux ou qui n’ont pas les compétences. Soutenus, ils s’intéressent peu à peu aux cours, se transforment en bons étudiants. C’est une énorme satisfaction de les voir arriver au diplôme ! C’est le signe que j’ai fait mon travail

Nicola Braghieri, responsable du LAPIS

Quant à Nicola Braghieri, il fait partie de «la première génération qui a dessiné son projet d’architecture à l’ordinateur et la dernière à l’avoir dessiné à la main. A l’époque, faire une ligne vectorielle nécessitait une table graphique où il fallait entrer les coordonnées vectorielles. C’est ainsi que j’ai appris à faire de l’ordinateur mon esclave, et non l’inverse», avance Nicola Braghieri avec une once de fierté. «Je déteste ces interfaces modernes avec les boutons tout prêts, on ne peut pas adapter le logiciel pour qu’il réponde à nos attentes et à notre manière de voir les choses.» Par ailleurs, le professeur considère comme un choix politique de suggérer des logiciels open source plutôt que des logiciels commerciaux. Même s’ils sont dominants et accessibles gratuitement au sein de la structure scolaire, cette dernière couvrant les frais de licence.

Le temps, une notion relative

Et l’enseignement, dans tout ça ? «D’expérience, je sais qu’enseigner aux élèves un logiciel de construction d’images et ses paramètres en deux fois 45 minutes est impossible», affirme Nicola Braghieri. L’apprentissage se fait donc de manière pragmatique. Comment ? En choisissant un chef-d’œuvre de l’histoire de l’art, que les élèves analyseront sous toutes les coutures (textures, lumière, etc.) et reconstruiront à l’aide d’une maquette physique à l’échelle et d’un modèle vectoriel numérique. Ce cheminement oblige les étudiants à faire le parcours inverse et redécouvrir les éléments de base de l’image. Selon Patrick Giromini, l’informatique en général – malgré son utilité – est si instantanée qu’elle a rendu les étudiants paresseux : «Ils veulent du ‘tout cuit’ et se fichent du processus pour aller d’un point A à un point B, alors que c’est précisément le principe de l’enseignement. De plus, l’architecture, par définition, va à l’encontre de la vitesse : construire un bâtiment prend du temps. Nous avons fait notre autocritique et compris le malaise : l’envie d’apprendre ressortait dans les évaluations, mais les élèves n’écoutaient pas, n’aimaient pas le cours. En favorisant les retours spontanés sur l’utilité du cours, nous l’avons réévalué chaque année jusqu’à arriver à un format qui fonctionne, avec les bons moyens. Les évaluations sont redevenues positives, ce qui nous a encore plus motivés.» Là aussi, une construction qui s’inscrit dans le temps.

De façon plus surprenante, Nicola Braghieri est aussi motivé par les moins bons élèves : «Je cherche à aider au maximum les étudiants démotivés, ceux qui n’ont pas confiance en eux ou qui n’ont pas les compétences. Soutenus, ils s’intéressent peu à peu aux cours, se transforment en bons étudiants. C’est une énorme satisfaction de les voir arriver au diplôme ! C’est le signe que j’ai fait mon travail. Mais ceux qui ne sont pas passionnés au départ ne peuvent pas réussir. Sans passion, on ne peut pas apprendre l’architecture.»

Remonter le temps et faire la route ensemble

Un moment clé dans leur carrière respective ? «Quand je suis arrivé à l’EPFL», répond spontanément Nicola Braghieri. «J’ai enseigné partout en Europe, mais l’EPFL a été le lieu où j’ai enfin pu construire quelque chose dans le calme, pour le redonner à la recherche et aux étudiants. C’était important.» Pour Patrick Giromini, c’est l’invitation de Nicola Braghieri à travailler avec lui. «Ce moment restera gravé dans mon cœur. Je me souviens de chaque détail, de ‘ma’ table ‘fétiche’ aux Brasseurs à Genève où nous avons pris une bière pour parler du projet. Nicola m’a donné l’occasion, avec une rare liberté, de mettre en place quelque chose avec lui. Ce plaisir de travailler ensemble fait aussi la force de notre laboratoire.» Le professeur est touché. L’assistant-doctorant finit prochainement sa thèse en architecture vernaculaire, mais ce binôme-là effectuera sûrement encore un bout de route ensemble.


Auteur: Laurianne Trimoulla

Source: People