Révéler et cultiver des intelligences urbaines

Lucía Jalón Oyarzun et Emmanuelle Agustoni (ALICE). © EPFL/DR - Y.Bergeot - CC-BY-SA 4.0

Lucía Jalón Oyarzun et Emmanuelle Agustoni (ALICE). © EPFL/DR - Y.Bergeot - CC-BY-SA 4.0

Dans cette chronique, parue en français dans la presse romande, Lucía Jalón Oyarzun, directrice du pôle recherche à l’Atelier de la Conception de l’Espace (ALICE) et Emmanuelle Agustoni, collaboratrice scientifique, expliquent leur démarche pour mettre en valeur le patrimoine vivant de la commune de Vernier à Genève.

Pendant deux ans, avec une équipe de l’Atelier de la Conception de l’Espace (ALICE) à l'EPFL, nous avons travaillé et parcouru, aux côtés des habitantes et habitants, la commune de Vernier, à Genève. La marche a été utilisée comme un outil critique pour documenter et révéler une ville cachée regorgeant de ce que nous avons appelé des «intelligences urbaines locales». Au-delà du paradigme technologique des «smart cities», ces intelligences constituent différentes formes de savoirs, comme les coutumes, les traditions, l’appropriation des outils légaux et les actions collectives qui sont sous-jacentes à la construction de villes durables.

Ces formes d’intelligence sont intimement liées à l'expérience vécue et à l'environnement dans lequel elles s'inscrivent. Cependant, elles sont plus difficilement mesurables. C'est pourquoi, très souvent, nous analysons et concevons nos villes en nous basant sur des espaces abstraits et des données quantitatives. Ce faisant, nous créons des angles morts qui contribuent à creuser le fossé entre notre science et la population locale et à ignorer comment les lieux que nous habitons nous affectent.

Marche guidée comme outil
Nous avons exploré diverses méthodes pour recueillir et analyser ces savoirs reliés à un territoire, notamment celle des «entretiens en marchant», guidés par des habitantes et habitants. Ils nous permettaient d'observer les liens entre leurs pratiques quotidiennes et leur environnement. Le matériel recueilli nous permet de dessiner le patrimoine vivant de la commune de Vernier. Contrairement à l'idée généralement admise que le patrimoine ne concerne que les bâtiments ou les objets, l'UNESCO le définit aussi comme les pratiques, connaissances ou techniques transmises par les communautés, de génération en génération. Nous soutenons que ce patrimoine est au cœur de nos intelligences urbaines collectives.

Afin d'élargir notre compréhension de ces savoir-faire et de transmettre leur pertinence, nous avons récemment organisé des promenades-ateliers autour de Vernier. Menées avec la Commune et la commissaire d'art indépendante Hélène Mariéthoz, ces promenades guidées donnaient la parole à divers acteurs et actrices, comme des associations locales, des citoyennes et citoyens, des fonctionnaires de la ville, ou encore des artistes et des chercheuses et chercheurs. Ces rencontres encouragent un changement de regard sur des lieux communs, invisibles, historiques ou conflictuels, tout en permettant une nouvelle lecture collective de ces territoires. Qu'est-ce qui les rend habitables et désirables? Qu'est-ce que le patrimoine au quotidien? Comment saisir et valoriser la culture d’un territoire?

Nos savoirs scientifiques et techniques doivent être pensés en collaboration avec les intelligences collectives locales. Les environnements construits de notre quotidien sont le terrain d'entente indispensable pour développer une expérience partagée et viser une co-conception démocratique du territoire.

  • Cette chronique est parue dans les quotidiens La Côte (Vaud), Le Nouvelliste (Valais) et Arcinfo (Neuchâtel), en décembre 2023 dans le cadre d'un partenariat avec le groupe de presse ESH Médias visant à faire connaître la recherche et l'innovation de l'EPFL dans le secteur de la construction auprès du grand public.