«Résoudre des problèmes interdisciplinaires me stimule davantage»

Sangwoo Kim © Titouan Veuillet/Adrian Alberola Campailla CC BY-SA
Responsable du nouveau Laboratoire de mécanique des matériaux souples et biologiques de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur de l’EPFL, Sangwoo Kim trouve son inspiration en naviguant entre théorie physique et mécanique et biologie.
Quand il était étudiant à l’Université technologique de Pohang en Corée du Sud, Sangwoo Kim excellait dans les domaines du génie mécanique et des mathématiques. Très tôt intéressé par la mécanique des fluides, il ne s’attendait pas à ce que sa carrière exige des connaissances en biologie, par exemple sur le développement embryonnaire du poisson-zèbre. Mais dans le nouveau laboratoire de l’EPFL MESOBIO, son équipe cherche à acquérir une compréhension fondamentale des systèmes biologiques tels que les tissus embryonnaires et les matières cellulaires en s’aidant d’outils théoriques propres aux mathématiques, à la physique et à l’ingénierie.
«Notre objectif est de développer de nouveaux cadres théoriques pour comprendre les structures émergentes, la dynamique et les propriétés mécaniques dans les systèmes vivants et les matériaux souples et actifs», explique Sangwoo Kim. Depuis sa nomination en tant que professeur assistant tenure track, ses recherches ont principalement porté sur la théorie, mais il travaille sans relâche pour mettre en place l’aspect expérimental.
«La collaboration entre plusieurs domaines est essentielle pour aborder les problèmes interdisciplinaires sur lesquels nous nous penchons. Dans l’environnement scientifique ouvert et convivial de l’EPFL, nous travaillerons avec plusieurs laboratoires de la Faculté des sciences de la vie, notamment le Laboratoire de mécanique microbienne et le Laboratoire du temps et de la dynamique de segmentation. Je suis également en train de mettre en place un laboratoire de culture cellulaire pour mon équipe. Bien que notre recherche soit principalement axée sur la théorie, nous encouragerons et intégrerons des aspects expérimentaux afin de créer des synergies avec notre travail théorique.»
Vers un modèle unifié de développement des tissus biologiques
Sangwoo Kim révèle qu’il a commencé à étudier les systèmes biologiques au cours de son doctorat en mécanique théorique et appliquée à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign. Concrètement, il a étudié les relations entre les statistiques, la géométrie et les états mécaniques qui sont universellement observées dans les matériaux souples inertes, ainsi que dans les matériaux biologiques et cellulaires vivants. Puis, en tant que boursier postdoctoral à l’Université de Californie à Santa Barbara, Sangwoo Kim s’est intéressé aux tissus embryonnaires grâce à son conseiller, un physicien de formation qui étudiait les systèmes biologiques, notamment les embryons de poisson-zèbre.
La recherche de Sangwoo Kim sur le poisson-zèbre porte sur les tissus embryonnaires qui peuvent activement ajuster les propriétés cellulaires pour atteindre des états plus fluides ou plus solides – un processus qui rappelle les comportements de transition de phase. Il explique que ces transitions de phase dans les tissus biologiques indiquent que le développement embryonnaire est un processus complexe régi non seulement par la génétique et la biochimie, mais aussi par les principes de la physique et de la mécanique.
«Afin de développer un modèle simple mais générique pour comprendre ces systèmes, nous examinons les interactions à l’échelle cellulaire pour prédire les propriétés émergentes à l’échelle des tissus. Notre approche permet d’avoir une compréhension globale de ces processus et pourrait être appliquée au traitement des anomalies du développement.»
Il ajoute que, malgré l’existence de nombreux modèles théoriques pour l’étude de tissus biologiques spécifiques, il espère que ses travaux contribueront au développement d’un modèle plus complet et unifié qui pourra être utilisé pour étudier un vaste ensemble de ces tissus.
Apprendre sur le tas
Sangwoo Kim co-enseignera le cours de bachelor de Pedro Reis sur la mécanique des structures, et développera son propre cours de master sur la mécanique des matériaux souples et biologiques. Outre l’enseignement, il estime qu’il a beaucoup à apprendre, qu’il s’agisse de tracer une voie interdisciplinaire relativement nouvelle ou de s’adapter à la vie en Suisse.
«J’avais des opportunités de carrière aux États-Unis, mais l’environnement de recherche propice et les possibilités de collaboration m’ont incité à rejoindre l’EPFL. Cela a été un grand changement. Le système universitaire est différent et je ne parle pas français, mais tout se passe bien et j’ai hâte d’avoir plus de temps pour explorer les sentiers de randonnée suisses!»
La persévérance et la curiosité sont bien évidemment au cœur de toute carrière scientifique. Mais elles sont particulièrement importantes pour Sangwoo Kim dans son travail au croisement de la mécanique, de la physique et de la biologie, cette dernière étant, de son propre aveu, l’une de ses matières les plus faibles lorsqu’il était étudiant de premier cycle.
«Il faut du temps pour apprendre le langage propre à chaque discipline: les biologistes parlent de gènes, de protéines et de voies de signalisation que je ne comprends pas tout à fait, de même qu’ils ne peuvent pas très bien comprendre quand je parle de transitions de phase. Mais l’essentiel est d’échanger et de poser des questions, ce qui peut toujours aboutir à des questions encore plus intéressantes. C’est la démarche scientifique.»
Lorsqu’on lui demande si le caractère pluridisciplinaire de son travail est un inconvénient, Sangwoo Kim hoche la tête.
«Résoudre ces types de problèmes interdisciplinaires me stimule davantage. J’envisage d’avoir un laboratoire très interdisciplinaire, avec des étudiantes et des étudiants issus d’horizons très différents», dit-il. «Je trouve fascinant et inspirant qu’il y ait tant de questions ouvertes en biologie et que l’application des principes de la physique et de la mécanique puisse faire progresser nos connaissances de manière significative. Il s’agit de systèmes très complexes et, pour les comprendre, nous avons besoin des connaissances des deux parties.»