Rencontre avec Nora Al-Badri, artiste en résidence de l'EPFL

«3D print still-life photography» © Nelles/Al-Badri

«3D print still-life photography» © Nelles/Al-Badri

Nora Al-Badri nous parle de son œuvre unique en son genre, qui se situe à l’intersection entre art, intelligence artificielle et patrimoine culturel. Elle est la première artiste d’un nouveau programme de résidence administré par le Collège des Humanités (CDH), et mis en œuvre par ArtLab, qui accueillera une exposition de l’artiste l’année prochaine.

Nora Al-Badr © Karim Ben KhalifaLa résidence de Nora Al-Badri à l’EPFL, au laboratoire de muséologie expérimentale du CDH (EM+) dirigé par Sarah Kenderdine, remonte officiellement au mois de juillet. L’exposition intitulée «Série de sculptures neuronales ancestrales» à l’ArtLab l’été prochain en constituera l’apogée.

Lorsqu’elle ne se trouve pas au laboratoire EM+ à Saint-Sulpice, Nora AI-Badri vit et travaille à Berlin. Elle détient un diplôme en sciences politiques de l’Université Wolfgang Goethe à Francfort-sur-le-Main et son œuvre novatrice a été présentée notamment par The New York Times, la BBC, Wired, The Financial Times, The Boston Globe, Gizmodo et New Scientist.

EPFL: Pouvez-vous nous décrire ce qui vous définit en tant qu’artiste?

Nora Al-Badri: Je suis une artiste pluridisciplinaire; la technologie me sert de support depuis de nombreuses années: robotique, données en 3D ou encore logiciels fondés sur l’intelligence artificielle.

Je suis également une politologue expérimentée et tout ce que je crée vise à déconstruire les structures du pouvoir telles que nous les connaissons et à exploiter le potentiel d’émancipation de la technologie. J’aime citer Frantz Fanon pour parler de ma pratique artistique: «Les luttes pour la décolonisation tournent avant tout autour de la notion de propriété. Elles s’efforcent de reposséder, de reprendre – si nécessaire par la force – ce qui nous revient inconditionnellement et donc nous appartient.»

L’une de mes œuvres par exemple, effectuée en collaboration avec Jan Nikolai Nelles, est connue sous le nom de «piratage de Néfertiti». Nous avons scanné en secret le buste de la reine Néfertiti au Nouveau Musée de Berlin. Ensuite, nous avons exposé et enfoui en Égypte une impression 3D du buste comme une forme d’héritage technologique.

EPFL: Quelles sont vos motivations d’artiste?

NAB: Je perçois et exploite le potentiel émancipateur et subversif de la technologie. Je pense que les questions d’éthique et de biais de représentation doivent être négociées dans l’art et les humanités numériques. Je suis également d’avis que ce débat ne doit pas se confiner à l’université ou au musée, car ce sont des lieux privilégiés, malheureusement inaccessibles à la majorité des gens.

La viralité et Internet constituent une autre sphère publique qui doit accueillir ce type de discussion, même si là aussi presque la moitié de la population n’est pas encore en ligne. Mais comme artiste, je peux atteindre le vaste monde et soutenir le recentrage des connaissances vers les pays du Sud.

EPFL: Parlez-nous de cette série de sculptures neuronales ancestrales.

NAB: Ma recherche au laboratoire EM+ couvre l’IA et les pratiques muséales comme forme d’héritage technologique et une pratique de décolonisation. Cette série de sculptures neuronales ancestrales est axée sur l’Iraq et ses artéfacts archéologiques. Je m’attache à réfléchir sur l’instant de création d’image comme pratique mimétique en appliquant des réseaux adverses génératifs (en anglais «generative adversarial networks» ou GAN) aux images de ces artéfacts.

Les GAN sont une nouvelle technologie passionnante, plus connues sous le nom de «deepfakes»; les images peuvent sembler aussi réelles que des photos, or elles n’en sont pas car elles ont été produites pas des réseaux neuronaux. Cela nous confronte à des questions d’originalité et d’authenticité et nous invite à explorer le réseau neuronal lui-même comme outil artistique.

Les images produites sont potentiellement transcendantales: dans le discours de l’islam, par exemple, la géométrie possède sa propre conception spirituelle, sans structure sémiotique; elle se fonde sur des éléments mixtes issus des mathématiques et de l’art. Elle ne poursuit pas d’intention décorative mais se réfère mimétiquement et spirituellement à l’infini. C’est ce que nous explorons par l’intermédiaire de divers ensembles de données d’artéfacts de Mésopotamie.

À mon sens, l’apparition de nouvelles images créée par l’IA et inspirées par des images anciennes ou ancestrales pourrait aussi déboucher sur de nouveaux récits dans l’Iraq d’aujourd’hui, un pays confronté chaque jour à des pertes humaines et culturelles. Avec ce projet, j’entends contribuer à ce que ce pays se distingue à l’avenir par la création et non la destruction.

EPFL: Prévoyez-vous de collaborer avec d’autres laboratoires de l’EPFL?

NAB: Je suis en discussion avec d’autres laboratoires du campus, dont le laboratoire de représentation visuelle (IVRL), le laboratoire de traitement des signaux (LTS5) et le laboratoire d’apprentissage automatique et d’optimisation (MLO). Des chercheurs du LIDIAP sont eux aussi à la recherche de thèmes portant sur la justice sociale, la décolonisation et la représentation. Je discuterai donc avec eux du rôle des pays du Sud ainsi que des représentations et des biais dans l’apprentissage automatique.

Je trouve passionnant d’évoluer dans l’université en tant qu’artiste, d’être bienvenue partout et de croiser à tout moment des chercheurs réputés. Je constate que nous partageons de nombreuses questions et domaines de recherche, mais que les résultats et le public sont relativement différents.



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Nora Al-Badri © Karim Ben Khalifa
Nora Al-Badri © Karim Ben Khalifa
«3D print still-life photography» © Nelles/Al-Badri
«3D print still-life photography» © Nelles/Al-Badri
«Disentangled No. 1» © Nelles/Al-Badri
«Disentangled No. 1» © Nelles/Al-Badri

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