Quartier d'habitation et sodas, un cocktail explosif
Une étude inédite, utilisant une approche géospatiale à échelle fine, révèle aujourd’hui une prévalence de l’obésité et de la consommation de boissons sucrées en excès dans certains quartiers de Genève. C'est la première fois qu'un lien est établi entre l'indice de masse corporelle (IMC), le quartier d'habitation et la consommation de boisson sucrées. Une collaboration HUG, EPFL, UNIGE et CHUV.
En 2014, Idris Guessous, médecin chef du Service de premier recours aux HUG et professeur associé au Département de santé et médecine communautaires à la Faculté de médecine de l’UNIGE, et Stéphane Joost, Maître d'enseignement et de recherche au Laboratoire de systèmes d’information géographique à l’EPFL, avaient cartographié de manière très précise la répartition des individus en surpoids selon leur lieu d’habitation à Genève. Ils avaient ainsi mis en évidence des quartiers présentant un indice de masse corporelle élevé.
Sur la base de méthodes d’analyse spatiale similaires et d’un panel de participants encore plus large, ils mettent aujourd’hui en lumière un chevauchement spatial important entre les problèmes de poids et la consommation de boissons sucrées. En effet, 43% des habitants des quartiers dans lesquels l’IMC est élevé résident dans une zone également problématique concernant la consommation de boissons sucrées.
Si les causes de l’obésité sont multiples et complexes, plusieurs études internationales avaient, ces dernières années, pointé du doigt le rôle de la consommation de boissons sucrées dans l’apparition de l’obésité. Elles ont toutefois fait l’objet de nombreuses controverses à travers le monde. L’étude parue aujourd’hui renforce la notion de lien entre consommation de boissons sucrées et statut pondéral à l’échelle locale.
Plus de 15'000 participants
Cette étude a été menée entre 1995 et 2014, sur 15’767 personnes, de 20 à 74 ans, habitant dans le Canton de Genève. Les données ont été recueillies dans le cadre de l’étude Bus Santé, conduite par la Direction Générale de la Santé via l’Unité d’épidémiologie populationnelle (UEP) des HUG. Chaque année, un échantillon de 500 hommes et 500 femmes, représentatifs des résidents genevois, sont reçus par les équipes de l’UEP. Ils répondent à des questionnaires portant sur la santé, l’activité physique et les habitudes alimentaires. Des mesures anthropométriques et un bilan sanguin sont également réalisés.
Une méthode d’analyse spatiale de précision
Pour bien comprendre ce qui fait la spécificité de la méthode utilisée, il faut réaliser que contrairement à la grande majorité des études en épidémiologie spatiale, les chercheurs ont travaillé non pas sur des unités ou des zones géographiques prédéfinies, comme des communes ou des quartiers, mais ont utilisé exclusivement les coordonnées géographiques du lieu de résidence des participants à l’étude. C’est ensuite la distance entre les lieux de résidence et la ressemblance entre les comportements de ces participants qui ont permis d’obtenir les résultats illustrés par les cartes géographiques ci-dessous.
Cette méthode d’analyse spatiale révèle ainsi que l’IMC des habitants de Genève n’est pas distribuée au hasard géographiquement. Il existe des quartiers où l’IMC de la population est au-dessus de la moyenne cantonale qui est de 25. Les chercheurs ont ensuite utilisé la même méthode pour cartographier la consommation de boissons sucrées. Ils ont constaté qu’il existait un chevauchement spatial important entre les personnes déclarant consommer des boissons sucrées en excès et les zones d’habitation où l’IMC de la population était supérieur à la moyenne.
Des campagnes de prévention plus ciblées
Cette étude plaide également pour la mise en place de programmes de santé publique de précision préconisés par GIRAPH. L’identification de zones spécifiques où la population présente un IMC trop élevé et une consommation importante de boissons sucrées peut permettre d’élaborer des interventions et des campagnes de prévention plus ciblées, plus adaptées et donc potentiellement plus efficaces.
On entend par boissons sucrées, les boissons contenant des sucres ajoutés. Il peut s’agir de sodas, de jus aromatisés, de thé ou café sucré, de boissons énergétiques, pour sportifs ou de remplacement électrolytique. Si elles ont toutes des teneurs en sucre différentes, certaines d’entre elles, notamment les sodas, peuvent contenir jusqu'à 39 gr de sucre pour 330 ml. Depuis 20 ans, la consommation de ces boissons est en constante augmentation, en Suisse et en Europe. En moyenne, en Suisse, 80 litres sont consommés par an et par personne. C’est toutefois moins que la moyenne européenne, qui se situe aux alentours de 95 litres par an.
Ces boissons, en plus de provoquer un gain de poids, peuvent également entraîner des risques pour la santé en raison de la réponse métabolique au fructose, un de leur composant majeur. Un apport élevé en fructose peut entraîner une augmentation de l'adiposité viscérale, une dysrégulation lipidique et une diminution de la sensibilité à l'insuline. Des études récentes (références 10 à 16) ont également conclu que même une consommation sans excès de boissons sucrées entraînait un risque accru de développer des maladies cardiovasculaires, de l'hypertension, des accidents vasculaires cérébraux (AVC) et le diabète de type 2.