Quand recherche rime avec jazz

Michael Wollny    2022 EPFL/ Joerg Steinmetz- CC-BY-SA 4.0

Michael Wollny 2022 EPFL/ Joerg Steinmetz- CC-BY-SA 4.0

De l’exploration de l’essence de la créativité à la transformation d’un bâtiment en instrument, une collaboration unique entre le DCML (Digital and Cognitive Musicology Lab) de l’EPFL et le célèbre pianiste de jazz Michael Wollny vise à repousser les limites de la théorie musicale.

Lors d’une discussion animée à propos de la résidence artistique de Michael Wollny dans le bureau du directeur du DCML, Martin Rohrmeier, il est difficile de savoir si le sujet de discussion est l’art ou la science, mais peut-être que les différences entre les deux sont moins importantes que nous le pensons. Pour Martin Rohrmeier et Michael Wollny, leur processus – qu’il s’agisse de travailler sur un projet de recherche ou une composition de jazz – commence par une inspiration créative suivie de la résolution de problèmes et de tâches mécaniques. Des événements imprévus et des «erreurs» apparaissent en chemin mais s’avèrent néanmoins très utiles.

«Au bout d’un moment, vous pensez que la voie que vous avez choisie n’est pas assez intéressante pour être poursuivie, mais c’est risqué, car parfois, il faut rester sur une voie peu intéressante pour découvrir l’inattendu», explique Michael Wollny. «D’autres fois, je sais quand le moment est venu de passer à autre chose. Mais même dans ce cas, l’idée n’est pas inutile. En fait, je pense que la plupart de mes morceaux ont été créés à partir de “déchets” d’autres projets.»

En tant que scientifique, Martin Rohrmeier est de cet avis. «Je pense qu’une belle métaphore peut être trouvée dans la nature: le compost dans le jardin ou l’arbre tombé dans la forêt finissent par se décomposer pour former un nouveau sol fertile. Vous pouvez entendre l’arbre tomber, mais pas l’herbe pousser. La plupart des progrès ne font pas de bruit.»

Le Michael Wollny Trio en concert à l'EPFL le 11 mai : Michael Wollny (piano) Christian Weber (basse) Eric Schaefer (batterie) © Christine Farget

«Les contraintes favorisent la créativité»

La possibilité d’étudier les notions de créativité et d’intuition, et leur lien avec la recherche scientifique, faisait partie des motivations de Michael Wollny à accepter l’invitation du DCML dans le cadre du programme Artiste en résidence du Collège des Humanités (CDH). En tant qu’artiste de jazz réputé pour sa curiosité et son imagination, Michael Wollny, qui est également professeur à l’École supérieure de musique et de théâtre Felix Mendelssohn Bartholdy de Leipzig, espère que l’étude de la théorie musicale avec Martin Rohrmeier permettra de créer un terrain fertile pour la créativité de l’improvisation.

«Bon nombre de musiciennes et musiciens évitent sciemment de se pencher de trop près sur leur travail, mais il est important de repousser les limites», poursuit-il. «En tant que musicien improvisateur, se retrouver dans une situation où je ne sais pas ce qui va arriver est sacré car généralement nous avons un programme ou un agenda. Paradoxalement, examiner de plus près les choses me rend libre de ne rien attendre au moment présent.»

«La liberté et la créativité sont souvent favorisées par les contraintes. Par exemple, si vous vous limitez à quatre notes pour composer un morceau, c’est là que vous viennent les idées», ajoute Martin Rohrmeier.

Des algorithmes à l’architecture

Lors du programme Artiste-en-résidence du CDH, Michael Wollny a déjà donné un workshop et un concert sur le campus de l’EPFL. D’autres concerts sont prévus cette année, ainsi que d’éventuelles sorties académiques comme un rapport de recherche ou un symposium. Martin Rohrmeier et Michael Wollny envisagent notamment de travailler ensemble sur l’identification et la caractérisation des tendances musicales contemporaines, comme la réapparition de l’improvisation en lien avec la tradition classique européenne.

«Au 19e siècle, l’improvisation était une partie très importante de la musique classique et on l’oublie souvent. Mozart et Chopin improvisaient des parties de leurs concerts», explique Martin Rohrmeier. «Puis cela s’est arrêté. Les pianistes classiques ne produisaient plus leur propre musique, mais jouaient uniquement celle écrite sur la partition. Aujourd’hui, nous constatons un retour de cette tradition. Nous souhaiterions étudier davantage ce phénomène pour savoir si nous assistons à l’émergence d’une nouvelle forme de musique contemporaine européenne.»

Un autre angle de recherche qui captive Michael Wollny concerne les outils facilitant la création musicale, qu’il s’agisse d’un piano ou d’un algorithme de composition. Il a même des vues sur un instrument beaucoup plus imposant: la chapelle romane située près du campus de l’EPFL à Saint-Sulpice, où il espère organiser une séance d’enregistrement pendant sa résidence.

«De nos jours, les ordinateurs et les algorithmes sont des outils pour les compositrices et compositeurs. Un outil pourrait aussi être un piano ou la pièce dans laquelle je joue, la lumière, la réverbération et l’acoustique. Il y a beaucoup de paramètres qui sont importants pour les musiciennes et musiciens, et cette église serait un instrument très intéressant.»


Auteur: Celia Luterbacher

Source: EPFL

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