Quand les sciences et les humanités jouent ensemble

Attack of pathogens © 2025 EPFL
Le cours « Jeu vidéo et gamification » fait partie du nouveau programme « One Campus » dans lequel des étudiant·e·s de l’EPFL et de l’UNIL étudient ensemble. Entre technicité, créativité et pédagogie, le jeu vidéo est un terrain idéal pour envisager un travail commun entre de futur·e·s scientifiques et ingénieur·e·s et de futur·e·s spécialistes en sciences humaines et sociales.
Yannick Rochat est professeur assistant en études vidéoludiques à la Faculté des lettres de l’Université de Lausanne (UNIL). Il est également cofondateur (avec Selim Krichane) et actuel directeur du GameLab UNIL-EPFL. Son cours « Jeu vidéo et gamification » intègre l’offre « One campus » du Programme SHS de l’EPFL car, comme il nous l’explique, la création d'un jeu vidéo demande des compétences très diverses qui font écho à de nombreuses disciplines enseignées à l'EPFL ou à l’UNIL.
« Une partie des étudiant·e·s de l’EPFL amène des compétences en programmation mais ce n'est pas l'intégralité, loin de là. Les connaissances en physique sont généralement également appréciées, ainsi que l'expérience de gestion de projets car elle est souvent assez poussée du côté de l'EPFL. Cependant, toutes les disciplines étudiées peuvent aboutir à la création d'un jeu portant sur leur matière scientifique. » Quant aux étudiant·e·s de l’UNIL, cela pourrait surprendre mais Yannick Rochat remarque qu’il n'est pas rare d’y trouver des élèves avec de très bonnes compétences en programmation, voire en création de jeux vidéo. Au final, Yannick Rochat ne voit pas une division des rôles « ingénierie vs sciences humaines » : « Ce qui est agréable à observer, c’est l’ouverture des étudiantes et étudiants à l'interdisciplinarité et, en général, leur capacité à communiquer malgré des formations parfois profondément différentes. »
Des jeux créés par des groupes d’étudiants EPFL-UNIL
Dans le cadre de ce cours, le jeu vidéo est abordé comme objet de recherche à partir des travaux menés en sciences humaines et sociales dans le domaine des sciences du jeu (game studies). Au fil des séances, les étudiant·e·s acquièrent des connaissances en création de jeux vidéo et se familiarisent avec diverses recherches en médiation culturelle et scientifique avec le jeu. Les étudiant·e·s sont ensuite amenés à travailler en groupe autour d'un projet de gamification à partir d'un matériau scientifique venant de leur discipline. Les notions fondamentales de l'étude du jeu vidéo sont exploitées dans la réalisation d'un projet concret de game design qui est ensuite présenté et discuté collectivement.
Un groupe a par exemple créé le jeu « coolor » dans lequel Ari explore une ville en ruines pour redonner vie et couleur à un monde pollué, en utilisant son pistolet à peindre et en combinant habilement les dernières sources de teintes disponibles. Un autre groupe a créé « Electro-Pong », un jeu qui réimplémente le célèbre jeu Pong avec une touche d'électrodynamique. Enfin, une autre équipe d’étudiant·e·s a développé le jeu « Attack of Pathogens » dans lequel on tente de défendre un organisme vivant contre des attaques de virus, bactéries et autres micro-organismes agressifs.
« Ce cours a eu un véritable effet papillon pour moi »
Yonah Bole est aujourd’hui ingénieure dans le domaine des grands modèles de langage chez Effixis. Pendant ses études à la HEC de l’UNIL, elle a suivi le cours « Jeu vidéo et gamification » et elle nous explique à quel point ce cours a influencé son avenir professionnel :
« Ce cours m’a ouvert les yeux sur les origines des jeux vidéo et sur ce qu’est un jeu au sens large. C’était aussi l’occasion de me lancer dans mon tout premier projet de développement de jeu vidéo, et j’y ai énormément appris. J’ai adoré travailler avec des étudiants de l’EPFL et de l’UNIL, on n’a pas souvent l’opportunité de participer à des projets interuniversitaires, et c’était génial de combiner les forces et les idées de chacun pour créer ensemble un prototype de jeu. Trois ans plus tard, je garde encore un peu contact avec mon équipe, et c’est un vrai plaisir de suivre leurs parcours après les études. Ce cours a eu un véritable effet papillon pour moi : il m’a menée à un stage chez Ubisoft, puis donné envie de suivre un parcours plus technique à l’université. Je suis très reconnaissante envers les professeurs pour ça. J’ai aussi beaucoup aimé me retrouver avec des personnes très différentes, toutes réunies autour d’un point commun : la passion pour les jeux. »
Liens sur les jeux :
COOLOR : Le jeu réalisé par le groupe de Yonah : https://maximezmt.itch.io/coolor (prévoir quelques bugs, le jeu a 4 ans et ne bénéficie pas de mises à jour)
ELECTRO-PONG : https://nebulean.itch.io/electro-pong. Une relecture du jeu de PONG dans un contexte d’électro-magnétisme.
ATTACK OF PATHOGENS : https://lynoxe.itch.io/attack-of-pathogens
Si le co-enseignement est désormais chose courante, le fait d’apprendre avec des des étudiant.e.s d’autres écoles est plus rare et d’ailleurs difficile à mettre en place. Pourtant, une telle pratique développe la capacité de chacune et chacun à comprendre les apports des autres disciplines et à situer ses propres compétences dans un projet commun. Les problèmes que les futur.e.s ingénieur.e.s auront à résoudre supposent toujours cette aptitude au dialogue et à la collaboration interdiscplinaire. Pour cette raison, le Programme SHS de l’EPFL développe depuis quelques années une offre de cours conçus pour réunir et former ensemble les étudiants de l’UNIL et de l’EPFL.
Marc Laperrouza, coordinateur pédagogique du Programme SHS, coordonne l’initiative « One Campus ». Il remarque que le travail collaboratif interuniversitaire apprend aux étudiants à faire des compromis et les emmène dans des problématiques complexes qui les sortent des champs disciplinaires dans lesquels ils ont l’habitude d’évoluer. « Ces cours permettent aux étudiant·es de confronter leurs différentes perspectives épistémologiques et de créer des ponts entre leurs champs disciplinaires », explique-t-il.
Neuf cours ont été sélectionnés à l’UNIL : quatre de la faculté des Lettres, deux de la faculté des Sciences sociales et politiques, deux de la faculté des Hautes études commerciales et un de la faculté de Droit. « On espère que ce programme permettra aux étudiants de développer des compétences transversales, qui sont très recherchées dans le monde professionnel », déclare encore Marc Laperrouza.
En savoir plus sur l’initiative « One Campus » du Programme SHS : https://www.epfl.ch/schools/cdh/fr/enseignement/shs/cours-ouverts-aux-etudiants-unil-et-epfl/