Quand les déchets agricoles se transforment en or

© 2015 EPFL – Estelle Antille

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Le coût élevé des biocarburants peut être réduit en valorisant les déchets végétaux, par exemple en les transformant en composés chimiques de haute valeur. Une récente étude en a fait l’expérience en se concentrant sur une source précise de biomasse: les résidus provenant de la fabrication d’huile de palme au Brésil.

Ce n’est pas encore demain que les biocarburants offriront une alternative durable aux énergies fossiles, des obstacles de nature sociale et environnementale restant à franchir. L’un des plus importants d’entre eux est le prix, qui doit être réduit pour que ces carburants deviennent compétitifs. L’un des moyens d’y parvenir est de rendre le processus global de production économiquement viable en transformant la biomasse en produits à haute valeur destinés à l’industrie chimique. Dans le journal Industrial Crops and Products, des chercheurs de l’EPFL ont publié les résultats d’une étude démontrant qu’une source spécifique de biomasse – les résidus agricoles provenant de la fabrication d’huile de palme au Brésil – pouvait servir à développer du bioéthanol ainsi que deux autres produits supplémentaires: du furfural, un composé très utilisé dans le monde industriel, et de la lignine, un combustible solide qui pourrait trouver sa place dans les bioraffineries.

Les fruits du palmier poussent en grappes, qui sont récoltées puis pressées pour en extraire de l’huile. Celle-ci est entre autres utilisée en cuisine, pour la confection de cosmétiques et la production de biodiesel. Les résidus fibreux restants au terme du processus de production sont généralement jetés. Or, comme l’explique Edgard Gnansounou et Jegannathan Kenthorai Raman, du Groupe de recherche sur les bioénergies et la planification énergétique de l’EPFL (BPE), ces déchets sont loin d’être sans valeur. «On peut en faire au moins trente composés chimiques différents», expliquent-ils.

Une fois vidées, les grappes de palmier sont-elles une source de biomasse durable? Et si c’est le cas, en quels produits doivent-ils être transformés? Tel est le genre de questions auquel les chercheurs tentent de répondre. Dans cette étude en particulier, leur travail a consisté à déterminer la composition de ces résidus et d’optimiser le processus chimiques destiné à leur transformation. Toutes ces données seront ensuite intégrées à l’examen de l’impact environnemental et des coûts économiques d’une telle bioraffinerie.

De la raffinerie traditionnelle à la bioraffinerie

«Utiliser ces déchets pour faire uniquement du bioéthanol revient bien trop cher pour faire réellement concurrence aux carburants fossiles, explique Edgard Gnansounou et Jegannathan Kenthorai Raman. Or, on peut retirer un profit et baisser le prix du biocarburant en adoptant le concept des bioraffineries pour produire des composés supplémentaires tels que le furfural, qui a de nombreuses applications dans l’industrie chimique. Il est notamment utilisé pour la fabrication de fongicides, d’adhésifs spéciaux, de saveurs ou de solvants.» Mais, avertissent les scientifiques, cette démarche peut ne pas suffire pour rivaliser économiquement avec les carburants fossiles, qui sont aujourd’hui très bon marché.

Pour le moment, les bioraffineries n’existent que sur le papier ou comme modèles informatiques. Une fois concrétisées, elles pourront transformer et valoriser une grande partie des résidus agricoles, tels que les enveloppes de riz, les tiges et les feuilles de maïs, la paille de blé et tous les déchets verts issus des tailles de forêts ou de jardins. Ces résidus ont une structure commune - une alternance de longues et de plus courtes chaînes de polymères de sucre (cellulose et hémicellulose) contenant de la lignine dure et difficile à digérer. C’est pourquoi ils peuvent être traités de manière similaire.

Vers des carburants durables

L a matière première utilisée pour la fabrication de biocarburants entrant potentiellement en compétition avec les cultures alimentaires, leur production n’est pas sans susciter des controverses. Mais selon les chercheurs, la deuxième génération de ces carburants pourrait bien résoudre ce problème en recourant uniquement à une biomasse issue de récoltes non-arables ou de déchets agricoles communément destinés à être incinérés ou abandonnés dans les champs.

«Les bioraffineries à vocation commerciale ont énormément d’avenir», estiment les chercheurs, qui font référence aux buts fixés par l’Union Européenne de parvenir à ce que les carburants utilisés pour les transports proviennent au moins à 10% de source d’énergie renouvelable d’ici 2020 et à ce qu’un soutien accru soient octroyé aux produits chimiques de base biologique. Toutefois, augmenter la production nécessite la mise en place de solutions durables pour rassembler la biomasse issue de fermes, de plantations et de sites de traitement agricoles, ainsi qu’une amélioration des processus technologiques mis en place dans les bioraffineries.

«En tant que fils de fermier, je suis enthousiasmé par l’idée que l’on puisse ajouter de la valeur à ce que les agriculteurs possèdent en grande quantité: les déchets de plantes», dit Jegannathan Kenthorai Raman. Et de noter que la création de bioraffineries peut potentiellement stimuler l’économie des sociétés rurales et, dans la foulée, générer des emplois, développer les transports et plus généralement offrir de nouvelles opportunités. Un processus qui pourrait contrer l’exode qui vide certaines communautés de leur substance.