Quand l'usuel d'antan devient l'innovation d'aujourd'hui

Barbara Lambec est architecte et spécialiste des patrimoines. © 2024 EPFL / Alain Herzog

Barbara Lambec est architecte et spécialiste des patrimoines. © 2024 EPFL / Alain Herzog

Comment faire à nouveau du réemploi la norme? C’est la question soulevée par Barbara Lambec, architecte, spécialiste des patrimoines et chercheuse au Laboratoire d’exploration structurale (SXL), dans cette chronique parue dans trois quotidiens romands.

Le domaine de la construction est responsable, entre autres, de 15% des émissions de CO2 dans le monde et de 33% des déchets produits en Europe. Face à l’urgence environnementale, son fonctionnement doit évoluer ou, plutôt, la construction doit revenir à ce qu’elle était initialement. En effet, avec l’avènement des machines et à la mondialisation, cette industrie s’est réinventée il y a moins d’un siècle. Les matières et productions proviennent aujourd’hui du bout du monde, la main-d’œuvre est minimisée et externalisée, les déchets sont envoyés par-delà les frontières et les fonciers et leurs bénéfices priment sur la matière et l’emploi. Pourtant, le réemploi existe depuis l’Antiquité.

Une fois produit, un élément de construction, tel qu’une pierre ou une charpente, peut avoir plusieurs vies sans jamais être considéré comme un déchet. Cet acte banal, qui est au fondement de la construction, est peu documenté, bien que persistant. Une étude réalisée au Laboratoire d’exploration structurale (SXL) de l’EPFL a notamment analysé les archives numérisées de journaux romands et relevé la présence, jusqu’à la fin des années 1960, de plusieurs annonces de bourses de matériaux, de déconstruction ou de vente à la suite d'une déconstruction qui démontre l’existence spontanée et instinctive du réemploi.

Réemploi appliqué

En Amérique du Nord, la pratique du réemploi est de plus en plus soutenue par les gouvernements. Pour évaluer les défis de l’industrie du réemploi sur ce continent, l’étude de l’EPFL a interrogé trente-cinq actrices et acteurs de la déconstruction et du réemploi sur leurs expériences et récolté des exemples concrets issus de leur pratique. Les conclusions de l’étude invitent à nuancer les perceptibles barrières et leviers de la pratique du réemploi. Le caractère inhabituel et non standardisé des éléments de construction comme des processus, la nécessaire main-d’œuvre, l’obligation de créer un système complet d’approvisionnement (extraction, transformation, stockage, vente) et la réglementation se révèlent être les défis à relever.

La déconstruction et le réemploi créent de l’emploi localement, permettent de former une main-d’œuvre experte et polyvalente et sont un vecteur de développement communautaire.

Barbara Lambec

Il est également affirmé que la déconstruction et le réemploi sont plus bénéfiques sur la santé et l’environnement, comparés aux pratiques actuelles. Ils créent en outre de l’emploi localement, permettent de former une main-d’œuvre experte et polyvalente et sont un vecteur de développement communautaire. On peut donc apprendre de ces exemples et imaginer transposer ces systèmes réglementaires et pratiques en Europe.

Réemploi normalisé

A la suite de ces études réalisées dans le cadre d’une thèse, un corpus de vingt et un protocoles européens et américains évaluant le potentiel du réemploi a aussi été comparé, analysé et synthétisé. Un protocole standardisé a ainsi été développé. Il propose de procéder par étapes, afin de répondre au mieux aux attentes et aux systèmes actuels, facilite la pratique, permet de comparer les projets et d’être le moyen, pour les praticiennes, les praticiens et les responsables politiques, de refaire du réemploi la norme.

Barbara Lambec, architecte, spécialiste des Patrimoines et chercheuse au Laboratoire d’exploration structurale (SXL), Smart Living Lab, EPFL Fribourg.

  • Cette chronique est parue en mai 2024 dans les quotidiens La Côte (Vaud), Le Nouvelliste (Valais) et Arcinfo (Neuchâtel), dans le cadre d'un partenariat avec le groupe de presse ESH Médias visant à faire connaître la recherche et l'innovation de l'EPFL dans le secteur de la construction auprès du grand public.
Références

Barbara Lambec, «Evaluer le potentiel de réemploi des matériaux de construction», thèse de doctorat co-dirigée par Corentin Fivet et … , EPFL, 2024.