Quand l'ingénierie se met au service de la santé publique
Pour son travail de master à l’EPFL, Noé Fellay a observé auprès de la population lausannoise la présence d’un auto-anticorps connu pour favoriser le risque de maladies cardiovasculaires. Une étude interdisciplinaire qui l’a amené à élargir ses compétences.
Depuis l’enfance, Noé Fellay aime comprendre comment fonctionnent les choses. Et, aussi, comment les réparer. Du jet d’eau cassé dans le jardin de ses parents au fonctionnement de la nature, au sens large. Une nature qu’il aime régulièrement retrouver, si possible dans son Valais natal. Ces deux passions l’ont amené à suivre des études en sciences et ingénierie de l’environnement à l’EPFL, même s’il a brièvement hésité à s’inscrire en médecine. Au terme de son cursus, l’étudiant décide de réaliser un projet de master ambitieux qui réunit les domaines de l’analyse spatiale et de la santé publique. Son but? Analyser la présence dans la population d’un certain type d’auto-anticorps connu pour être associé à la survenue de maladies cardiovasculaires. Son cas d’étude se portera sur la ville de Lausanne.
Il réalise cette recherche interdisciplinaire au sein du groupe GEOME au Laboratoire de Géochimie Biologique (LGB) de l’EPFL avec Stéphane Joost, maître d’enseignement et de recherche, et le professeur Nicolas Vuilleumier, des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). «J’ai toujours aimé la modélisation des territoires et je reste intéressé par la recherche en médecine. Ce projet était idéal pour moi», observe l’ingénieur.
Auto-anticorps et cadmium
Au départ de son enquête se trouve donc une donnée médicale. L’étudiant commence à générer une carte montrant les zones de la ville de Lausanne où la population possède dans le sang le plus «d’auto-anticorps contre l’apolipoprotéine A-1 (AAA1)». Les AAA1 sont dirigés contre l'apolipoprotéine A-1, la protéine porteuse du «bon cholestérol». Leur présence stimule l'inflammation, favorise la formation de l'athérosclérose et constitue ainsi des facteurs de risque cardiovasculaire.
L’augmentation des AAA1 dans le sang est influencée par des facteurs génétiques, mais peut également être liée à des facteurs environnementaux. Il est par exemple connu auprès de la communauté scientifique qu’une exposition aux métaux lourds, tels que le cadmium, le plomb et l’arsenic, même à des seuils bas, est susceptible d’être responsable de maladies cardiovasculaires. Dans un deuxième temps, Noé Fellay décide donc d’explorer ce lien à Lausanne grâce à l’analyse spatiale. L’étudiant observe en particulier la présence du cadmium. Celle-ci peut provenir de la friction des freins des trains, de celle des roues sur les rails ou des caténaires sur les fils électriques.
Hotspots près des gares
En se basant sur un jeu de données récoltées entre 2003 et 2006 auprès de la population lausannoise (étude CoLaus-PsyColaus), le futur ingénieur en environnement découvre des clusters de population présentant un taux élevé d’AAA1, notamment dans l’ouest de la ville. Il génère ensuite une carte mettant en évidence trois zones où le haut niveau de AAA1 est significativement associé avec la concentration de cadmium mesurée dans l’urine des gens, ce qui résulte d’une longue exposition. Les trois sites en question correspondent exactement à trois gares: celle de Sébeillon, aujourd’hui désaffectée, mais encore en activité lors de la récolte des données, la gare Centrale des CFF et la gare de triage de Chandieu. Un résultat plutôt logique: il est connu que le transport ferroviaire augmente le niveau de cadmium dans le sol le long des voies ferrées.
Intégration d’autres facteurs
En raison de ces premiers résultats, l’EPFL a engagé l’ingénieur en environnement jusqu’au mois de décembre, afin de lui laisser le temps de mener ses explorations à terme. Noé Fellay complète actuellement son projet de master avec les données qu’il n’a pas pu traiter jusqu’ici. L’intégration d’autres facteurs déterminants, tels que le niveau socio-économique de la population et l’analyse de la pollution de l’air, est ainsi prévue. D'ici la fin de son contrat à l’EPFL, le jeune diplômé vise à valoriser son travail sous la forme d’une publication scientifique conjointe entre l’EPFL et les HUG. Une source d’information qui aidera les autorités publiques à mieux protéger la santé de la population et, pour Noé Fellay, une belle manière de boucler la boucle entre ses études d’ingénierie et son intérêt initial pour la médecine.
Noé Fellay, “Geographic clusters of autoantibodies against apolipoprotein A-1 and their association with heavy metals and cardiovascular diseases in the general population”, projet de master, sous la co-direction de Stéphane Joost, EPFL, et Nicolas Vuilleumier, HUG, 2024.