Produire un laser femtoseconde avec du verre
Sur un substrat de verre, des scientifiques de l’EPFL fabriquent un laser femtoseconde qui tient dans la paume de la main.
Peut-on construire un laser femtoseconde uniquement à partir de verre ? Yves Bellouard, directeur du laboratoire Galatea à l’EPFL, s’est lancé dans cette quête vertigineuse après des années – et des heures – passées à aligner des lasers femtosecondes pour des expériences de laboratoire.
Le laboratoire Galatea se trouve à la croisée de l’optique, de la micromécanique et des sciences des matériaux. Les lasers femtosecondes sont un élément crucial du travail d’Yves Bellouard. Ils produisent des impulsions de lumière extrêmement courtes et régulières. Leurs applications sont nombreuses : chirurgie ophtalmologique, microscopie non linéaire, spectroscopie, traitement laser des matériaux et, récemment, stockage durable des données. Les lasers femtosecondes commerciaux sont traditionnellement fabriqués en disposant les éléments optiques et leurs montures sur un substrat métallique. Pour fonctionner, ils requièrent un alignement très délicat et difficile à fiabiliser de chacun des éléments optiques.
« Nous utilisons les lasers femtosecondes dans nos recherches sur les propriétés non linéaires des matériaux ou pour comprendre comment modifier les matériaux dans leur volume, explique Yves Bellouard. Quand vous procédez à des alignements optiques fastidieux, vous finissez par rêver d’un moyen plus simple et plus fiable de le faire. »
Quelle est la solution du Professeur Yves Bellouard et de son équipe ? Il s’agit d’utiliser un laser femtoseconde du commerce pour produire un autre laser femtoseconde, à partir d’un substrat de verre unique, de la taille d’une carte de crédit, et qui pose moins de difficultés d’alignement. Les résultats sont publiés dans le prestigieux journal Optica.
Comment faire un laser femtoseconde avec du verre
Les scientifiques commencent avec une feuille de verre. « Nous voulons produire des lasers stables, c’est pourquoi nous employons du verre, un matériau qui présente une faible expansion thermique, en plus d’être stable et transparent pour la lumière laser intense que nous utilisons », explique Yves Bellouard.
Avec un laser femtoseconde commercial, les scientifiques fabriquent des cavités tri-dimensionnelles dans le verre pour positionner les composants essentiels. Bien que produit avec une résolution à l’échelle du micron, ces cavités ne sont pas assez précises pour permettre un alignement de qualité suffisante. En d’autres termes, les miroirs ne sont pas parfaitement alignés et, à ce stade, le dispositif en verre ne constitue pas encore un laser fonctionnel.
Grâce à des recherches précédentes, les scientifiques savent également qu’ils peuvent dilater ou comprimer le verre localement à l’aide d’impulsions laser femtosecondes. Pourquoi ne pas utiliser ce principe pour ajuster l’alignement des miroirs ?
La gravure initiale est donc conçue de telle sorte que certains composants du laser se trouvent dans une cavité pouvant se mouvoir grâce à des micro-mécanismes flexibles, inscrits dans le substrat et activés par exposition au laser femtoseconde. On utilise ainsi le laser commercial à une seconde reprise, cette fois-ci pour aligner les miroirs. Au final, on obtient un laser femtoseconde stable et compact
« Cette approche s’applique à une foule d’autres circuits optiques, explique Yves Bellouard. Elle consiste, grâce à l’interactions laser/matière, à aligner de manière permanente des composants optiques miniaturisés où la lumière se propage librement, et ce avec une résolution inégalée à ce jour ».
Applications et futur
Au laboratoire Galatea, les programmes de recherche actuels exploreront l’utilisation de cette technologie dans le cadre de l’assemblage de systèmes optiques notamment pour des applications quantiques. Il s’agit de repousser les limites actuelles en termes de miniaturisation et de précision de l’alignement.
Malgré sa petite taille, le laser ainsi conçu peut atteindre une puissance de crête de presque un kilowatt et émettre des pulsations de moins de 200 femtosecondes – à peine le temps nécessaire pour que la lumière voyage à travers un cheveu humain.
Cette nouvelle technologie de lasers sera transférée à Cassio-P, une spin-off du laboratoire qui sera dirigée par Antoine Delgoffe. Ce dernier ayant rejoint le projet lors d’une étape décisive, avec pour but spécifique de finaliser la démonstration de laboratoire vers un dispositif fonctionnel commercialisable.
«Un laser femtoseconde qui se réplique lui-même… Peut-être sommes-nous en train d’arriver au point où les appareils manufacturés se cloneront eux-mêmes?», conclut Yves Bellouard.
La démonstration de principe d’un laser femtoseconde gigahertz miniaturisée sur un substrat de verre a été rendue possible grâce par à un financement de la bourse du Conseil européen pour la recherche (ERC PoC Grant – Projet GigaFemto). La mise en place de la spin-off a quant à elle été supportée par une bourse Bridge Proof-of-Concept et par le programme Ignition de l’EPFL.
Antoine Delgoffe, Saood Nazir, Sargis Hakobyan, Clemens Hönninger, and Yves Bellouard, "All-glass miniature GHz repetition rate femtosecond laser cavity," Optica 10, 1269-1279 (2023) https://doi.org/10.1364/OPTICA.496503
ERC Proof-of-Concept / Project GigaFemto
https://cordis.europa.eu/project/id/790169
https://doi.org/10.3030/790169
https://doi.org/10.1364/OPTICA.3.001285
https://doi.org/10.1364/OME.2.000789