Produire en Suisse : « Il faut prendre des risques !»

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La production microtechnique a-t-elle un avenir en Suisse? Co-organisé par l’EPFL, l’événement micro12 aborde cette thématique en compagnie de spécialistes de la branche. L’un des intervenants, Fabrice Jendly, vice-président de Swiss-engineering Neuchâtel et manager à Symetis SA, fait le point sur la question.

Employé de PME, de multinationale puis de start-up, Fabrice Jendly, ingénieur HES de formation, possède une perception globale des problématiques liées à la production en Suisse. Manager du secteur engineering d'une start-up, il occupe la vice-présidence de Swiss-engineering Neuchâtel, un réseau professionnel d’ingénieur et d’architecte suisses qui regroupe dans son ensemble plus de 13'500 membres. Nous l’avons rencontré pour une brève interview.

Dans un marché international où la concurrence est très rude, est-il encore rentable de produire en Suisse dans le domaine des microtechniques?
Pour une production massive de pièces basiques, comme des pièces de moteur par exemple, nous ne pouvons pas rivaliser avec des pays comme la Chine ou l’Inde, en raison du coût de la main d’œuvre. Nous avons cependant une carte à jouer en ce qui concerne les produits à forte valeur ajoutée, c’est-à-dire des produits sophistiqués et innovants. C’est le cas des dispositifs médicaux ou électroniques, ou encore de tout ce qui a trait à l’horlogerie. De manière générale, les connaissances et la formation suisses garantissent une qualité très appréciée par les clients et les partenaires, ainsi qu’une production rentable.

Récemment, la Suisse a pourtant vu des entreprises la quitter, provoquant des vagues de licenciements. Le « made in switzerland » est-il en crise ?
Non, ce n’est pas le cas pour les produits à grande valeur ajoutée. Il arrive que certaines compagnies suisses délocalisent leur production en Asie ou en Europe de l’Est, puis se ravisent et rapatrient leur succursale, en raison de problèmes de qualité. Le fait d’envoyer régulièrement des ingénieurs sur place pour résoudre ces problèmes leur coûte finalement trop cher. Il est par ailleurs plus aisé que le centre de production et celui de recherche et développement ne soient pas trop éloignés.

Certaines multinationales n’hésitent pourtant pas à faire le pas vers l’étranger…
Le cas des multinationales est particulier : le pouvoir décisionnel ne se situe pas nécessairement au niveau Suisse. Les dirigeants regardent simplement si une succursale est plus coûteuse qu’une autre. Il faut dans ce cas tout faire afin que la succursale helvète soit meilleure que ses homologues situés à différents endroits dans le monde.

Comment faire dans ce cas pour gagner en compétitivité?
D’une part, il faut maintenir une formation d’excellence en Suisse, à l’image de ce qu’offrent déjà les filiales CFC, HES et EPF. Le niveau des personnes formées en Suisse est excellent. Beaucoup de pays envient la complémentarité entre les hautes écoles et les Ecoles polytechniques. Il ne faut toutefois pas se reposer sur ses acquis, et innover sans cesse afin de garder une longueur d’avance. D’autre part, il est possible d’améliorer la gestion de la production au sein des entreprises, à travers la pratique du « Lean », par exemple. Cette méthode vise à détecter puis à éliminer toute forme de gaspillage à tous les échelons de l’entreprise, en repérant les tâches inutiles, les mouvements superflus, l’inadéquation des machines ou la surproductivité. L’entreprise Toyota l’a pratiqué très tôt et est devenu premier constructeur mondial d’automobiles. Cette méthode requière toutefois de la prudence. Il ne faut pas tomber dans les extrêmes. L’humain doit rester au centre de nos préoccupations. Il ne s’agit pas d’établir un système tyrannique obsédé par la rentabilité.

Pour la fabrication de certains produits, les entreprises suisses sont déjà contraintes de faire appel à des compagnies étrangères. Le 100% suisse est-il une utopie?
En matière de dispositifs médicaux, par exemple, il est dans la majorité des cas impossible de s’en sortir sans faire appel à l’étranger pour une partie du produit à fabriquer. Dans le cas de notre startup Symetis SA, qui fabrique des valves cardiaques, la production des valves en question est établie à l'étranger. Mais nous fabriquons les cathéters ici, et la maison mère demeure en Suisse. Elle est responsable du secteur recherche et développement, ainsi que des ventes et du marketing. J’imagine qu’à terme, ce genre d’entreprise, avec une production semi-délocalisée, pourrait devenir la norme dans le médical voire même en microtechnique, tout du moins pour les produits impliquant beaucoup d’opérations manuelles.

Face à la globalisation, les entrepreneurs pourraient être tentés de baisser les bras…
Ce serait regrettable. La Suisse a investi beaucoup de moyens ces 50 dernières années pour obtenir des écoles de très bonne qualité. Grâce à ces efforts, nous avons maintenant la possibilité de créer des produits performants, et de faire tourner l’économie Suisse. Il est donc essentiel de garder notre capacité de production.

Quels sont les écueils à éviter si l’on veut maintenir une production suisse?

Il est important qu’il n’y ait pas trop de décalage entre les écoles d’ingénieurs et le monde de l’industrie. Lorsque l’on élabore un produit hautement sophistiqué, il faut anticiper son développement sur le long terme, et faire en sorte qu’il réponde à un besoin du marché. Il est dommage de constater qu’il y a parfois dans les écoles des technologies extrêmement intéressantes, mais invendables en raison d’un manque d’anticipation lors de la création.

Et quels sont les points à améliorer en matière d’entreprenariat?
Les Suisses sont de manière générale des gens très calmes et assez introvertis. Il leur manque peut-être un certain esprit d’entrepreneurship à la Nicolas Hayek. En somme : il faut prendre plus de risques et ne pas avoir peur de se lancer, même si c’est pour se casser la figure dans un premier temps. En combinant ce goût du risque et l’humilité suffisante pour alimenter une volonté constante d’amélioration, la Suisse aura tout à gagner.

Fabrice Jendly, conférencier du vendredi 24 août, 11 heures.
Micro12 : du 23 au 25 août 2012
Aula des Jeunes-Rives, Neuchâtel
www.micro12.ch


Auteur: Laure-Anne Pessina

Source: EPFL