Produire de l'énergie à partir de l'évaporation de l'eau de mer

© iStock/Gabriel Schlickmann CC BY SA

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Des scientifiques de l’EPFL ont découvert que des nanodispositifs exploitant l’effet hydroélectrique peuvent produire de l’électricité à partir de l’évaporation de liquides dont la concentration en ions est plus élevée que celle de l’eau purifiée. Cette avancée laisse augurer un vaste potentiel énergétique inexploité.

L’évaporation est un processus naturel omniprésent, à tel point que la plupart d’entre nous le considèrent comme acquis. Environ la moitié de l’énergie solaire qui atteint la Terre est à l’origine du processus d’évaporation. Depuis 2017, des chercheuses et chercheurs tentent d’exploiter le potentiel énergétique de l’évaporation par le biais de l’effet hydrovoltaïque (HV). Ce dernier permet de produire de l’électricité lorsqu’un liquide s’écoule sur la surface chargée d’un nanodispositif. L’évaporation de ce liquide crée un flux continu dans les nanocanaux situés à l’intérieur de ces dispositifs, qui agissent comme des mécanismes de pompage passifs. Cet effet est également observé dans les microcapillaires des plantes, où le transport de l’eau se fait grâce à la combinaison de la pression capillaire et de l’évaporation naturelle.

Malgré l’existence des dispositifs hydrovoltaïques, on en sait très peu sur les conditions et les phénomènes physiques qui régissent la production d’énergie HV à l’échelle nanométrique. Giulia Tagliabue, responsable du Laboratoire de nanoscience pour les technologies énergétiques (LNET) de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur, et le doctorant Tarique Anwar ont voulu pallier cette lacune. Ils se sont appuyés sur des expériences et la modélisation multiphysique pour caractériser les flux de liquides, les flux d’ions et les effets électrostatiques dus aux interactions solide-liquide, dans le but d’optimiser les dispositifs HV.

«Grâce à notre nouvelle plateforme très contrôlée, c’est la première étude qui quantifie ces phénomènes hydrovoltaïques en mettant en évidence l’importance des diverses interactions interfaciales. Mais au cours du processus, nous avons également fait une découverte majeure: les dispositifs hydrovoltaïques peuvent fonctionner sur une large plage de salinités, ce qui va à l’encontre des connaissances antérieures selon lesquelles de l’eau hautement purifiée était nécessaire pour obtenir les meilleures performances», affirme Giulia Tagliabue.

L’étude du LNET a récemment été publiée dans la revue Device de Cell Press.

Schéma d'un système HV par évaporation © Tarique Anwar, LNET EPFL, CC BY SA

Un modèle multiphysique révélateur

Le dispositif des chercheuses et chercheurs représente la première application hydrovoltaïque d’une technique appelée lithographie colloïdale par nanosphère, qui leur a permis de créer un réseau hexagonal de nanopiliers de silicium espacés avec précision. Les espaces entre les nanopiliers ont créé des canaux parfaits pour l’évaporation d’échantillons de liquide et ont pu être ajustés avec précision pour mieux comprendre les effets du confinement des liquides et de la zone de contact solide/liquide.

«Dans la plupart des systèmes fluidiques contenant des solutions salines, il y a un nombre égal d’ions positifs et d’ions négatifs. Mais lorsque le liquide est confiné dans un nanocanal, il reste seulement les ions dont la polarité est opposée à celle de la charge de surface», explique Tarique Anwar. «Cela signifie que si vous laissez un liquide circuler dans le nanocanal, vous produirez du courant et des tensions.»

«Cela renvoie à notre principale découverte, à savoir que l’équilibre chimique de la charge de surface du nanodispositif peut être exploité pour étendre le fonctionnement des dispositifs hydrovoltaïques sur l’échelle de salinité», ajoute Giulia Tagliabue. «En effet, la charge de surface du nanodispositif augmente avec la concentration en ions du liquide. Nous pouvons donc utiliser des canaux de liquide plus grands tout en travaillant avec des liquides à plus forte concentration. Il est ainsi plus facile de fabriquer des dispositifs destinés à une utilisation avec de l’eau du robinet ou de l’eau de mer, plutôt qu’avec de l’eau purifiée uniquement.»

Image de nanopilliers de silicium au microscope électronique à balayage © Tarique Anwar, LNET EPFL, CC BY SA

Partout où il y a de l’eau

L’évaporation pouvant avoir lieu en continu dans une large plage de températures et d’humidités, et même la nuit, il existe de nombreuses applications potentielles intéressantes pour des dispositifs HV plus performants. Les chercheuses et chercheurs espèrent explorer ce potentiel avec l’attribution d’un Starting Grant par le Fonds national suisse, qui vise à établir «un paradigme entièrement nouveau pour la récupération de la chaleur résiduelle et la production d’énergie renouvelable à grande et petite échelle», y compris un module prototype en conditions réelles sur le lac Léman.

Les dispositifs HV pouvant théoriquement fonctionner partout où il y a un liquide, voire de l’humidité comme la sueur, ils pourraient également servir à alimenter les capteurs des appareils connectés tels que les télévisions intelligentes ou les dispositifs portables de santé et de fitness. Grâce à l’expertise du LNET dans les systèmes de production et de stockage de l’énergie lumineuse, Giulia Tagliabue souhaite également voir comment la lumière et les effets photothermiques pourraient être utilisés pour contrôler les charges de surface et les taux d’évaporation dans les systèmes HV.

Enfin, les chercheuses et chercheurs voient également d’importantes synergies entre les systèmes HV et la production d’eau potable.

«L’évaporation naturelle est utilisée dans le cadre du processus de dessalement, car l’eau douce peut être produite à partir de l’eau salée en condensant la vapeur générée par une surface d’évaporation. On peut imaginer qu’un système HV serve à produire à la fois de l’eau potable et de l’électricité», explique Tarique Anwar.

Références

Anwar and Tagliabue, Salinity-dependent interfacial phenomena toward hydrovoltaic device optimization, Device
(2024), https://doi.org/10.1016/j.device.2024.100287


Auteur: Celia Luterbacher

Source: EPFL

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