Première en Suisse: l'EPFL entre dans la recherche sur le kaon

Longue de près de 270 mètres, l’expérience NA62 occupe les cavernes TCC8 et ECN3 de la zone Nord du CERN. (Image: M.Brice/CERN)
En collaboration avec le Centre de Physique des Particules de Marseille, des chercheuses et chercheurs de l’EPFL ont mis au point une nouvelle méthode d’identification des neutrinos à l’aide des données issues de l’expérience NA62 du CERN, qui a récemment observé le plus rare désintégration de particules jamais enregistrées.
La physique des particules explore les plus petits éléments constitutifs de la nature, des particules si minuscules que des billions d’entre elles passent à travers nous chaque seconde sans que l’on s’en aperçoive. Parmi elles se trouvent les kaons, des particules constituées d’un quark et d’un antiquark. Les kaons sont fascinants parce qu’ils subissent une «désintégration». Il s’agit d’un processus où les particules instables se transforment en particules plus stables, en perdant de l’énergie. En étudiant ces désintégrations, les physiciennes et physiciens sondent les forces fondamentales et testent le modèle standard, le cadre qui explique comment les particules et les forces interagissent.
Les kaons sont particulièrement importants en «physique des saveurs», un domaine qui étudie comment différents types, ou «saveurs», de quarks interagissent et se transforment. Des désintégrations rares, comme la transformation d’un kaon en un pion et une paire neutrino-antineutrino, révèlent des détails complexes de ces interactions. Cette désintégration, appelée «canal doré» de la physique des saveurs, ne se produit qu’une fois sur dix milliards de désintégrations de kaons. Néanmoins, elle peut révéler des informations clés sur la force faible et les symétries fondamentales de l’Univers.
L’observation d’une désintégration rare du kaon, une étape majeure
Depuis 2023, l’EPFL a étendu son expertise en recherche physique à la recherche sur le kaon, devenant ainsi la première institution suisse à participer à l’expérience NA62 du CERN. En septembre 2024, NA62 a rapporté la première observation de la désintégration rare du kaon, se transformant en un pion et une paire neutrino-antineutrino.
Cette observation est le résultat de l’analyse d’une quantité massive de données expérimentales de 2016 à 2022 et d’une technologie de pointe pour isoler la désintégration. Et bien que le résultat soit conforme au modèle standard de physique, le taux de désintégration est 50% plus élevé que prévu, ce qui laisse entrevoir des découvertes potentielles au-delà de la physique actuelle.
Radoslav Marchevski, professeur au Laboratoire de physique des hautes énergies de l’EPFL depuis 2023, et son équipe ont contribué de manière significative à l’analyse des données qui a conduit à l’observation. «Au cours de la dernière décennie, nous avons apporté une contribution considérable, en démontrant la capacité de NA62 à mesurer ce processus et en poursuivant nos efforts pour améliorer la mesure, jusqu’à proposer en 2021 des modifications de configuration qui ont amélioré la sensibilité», précise-t-il.

Une nouvelle technique de marquage des neutrinos
Mais la contribution de l’EPFL ne s’est pas limitée là. Pour améliorer la capabilité de détection de l’expérience NA62, l’équipe de Radoslav Marchevski a travaillé avec le Centre de Physique des Particules de Marseille (CPPM) pour mettre au point une technique révolutionnaire de «marquage des neutrinos», une méthode utilisée pour identifier les neutrinos et les relier aux événements particulaires qui les ont produits.
Que sont les neutrinos? Ce sont des particules parmi les plus mystérieuses, qui interagissent si faiblement que des milliards traversent la Terre sans laisser de trace. Elles se déclinent en trois «saveurs» – électron, muon et tau – correspondant au type de particule chargée auquel elles sont associées lors des interactions. L’identification de la saveur d’un neutrino est cruciale pour l’étude de phénomènes tels que les oscillations des neutrinos, où les neutrinos changent de saveur au fur et à mesure de leur déplacement.
La nouvelle méthode développée par l’EPFL et le CPPM utilise des désintégrations de kaon pour marquer la saveur des neutrinos au cas par cas, ce qui n’a jamais été fait auparavant. Il s’agit d’une innovation car elle lie directement chaque neutrino à sa particule mère, ce qui permet de mesurer avec précision les propriétés des neutrinos.
«Cette nouvelle technique nous permet de marquer les saveurs de neutrinos au fur et à mesure de leur production et de les associer avec précision aux interactions dans la zone active de nos détecteurs, ce qui n’a jamais été fait auparavant, explique Radoslav Marchevski. Cela ouvre des possibilités uniques pour de futures expériences en physique des neutrinos en fournissant une meilleure résolution énergétique et un marquage de la saveur des neutrinos, ce qui permettra d’étudier avec précision les propriétés des neutrinos.»
Ces deux découvertes sont importantes pour la physique: l’observation de la désintégration rare du kaon indique une certaine tension avec le modèle standard, et la possibilité d’une «nouvelle physique» – des phénomènes qui vont au-delà de notre compréhension actuelle du monde subatomique. Parallèlement, la technique de marquage des neutrinos pourrait transformer les expériences futures en apportant des outils pour sonder les interactions des neutrinos et leur rôle fondamental dans le cosmos.
Radoslav Marchevski ajoute: «L’EPFL faisant désormais partie de NA62, nous avons amené la physique du kaon en Suisse, en apportant des contributions majeures, notamment une nouvelle technique de marquage des neutrinos, et en mettant en valeur la visibilité croissante de l’EPFL dans le domaine de la physique des particules à l’échelle internationale.»
F.R.S.-FNRS (Fonds de la Recherche Scientifique – FNRS)
CECI (Consortium des Équipements de Calcul Intensif)
CRSNG (Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie)
MEYS (Ministère de l’Enseignement, de la Jeunesse et des Sports)
BMBF (Bundesministerium für Bildung und Forschung)
INFN (Istituto Nazionale di Fisica Nucleare)
MIUR (Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca)
CONACyT (Consejo Nacional de Ciencia y Tecnología)
IFA (Institut de Physique Atomique)
MESRS (Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique)
CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire)
STFC (Conseil des installations scientifiques et technologiques)
NSF (Fondation nationale pour la science)
ERC (Conseil européen de la recherche)
EU Horizon 2020
Université Charles
Fondation tchèque pour la science
La Royal Society
ANR (Agence Nationale de la Recherche)
ANR-19-CE31-0009
The NA62 Collaboration. Observation of the K+→π+νν decay and measurement of its branching ratio. Journal of High Energy Physics 27 février 2025. DOI: 10.1007/JHEP02(2025)191
The NA62 Collaboration. First detection of a tagged neutrino in the NA62 experiment. Physics Letters B 863:139345. DOI: 10.1016/j.physletb.2025.139345