Pourquoi un choc en plein cœur peut vous tuer ou vous sauver
Un coup sur la poitrine peut tuer certaines personnes, mais en réanimer d’autres, sans que l’on comprenne pourquoi. Des chercheurs de l’EPFL et de l’Université de Berne ont développé un outil permettant de reproduire ce phénomène en laboratoire.
Recevoir un choc violent en pleine poitrine peut avoir un impact largement différent selon la situation. Des joueurs de base-ball sont par exemple décédés en recevant une balle au niveau du cœur, tandis qu’un coup au même endroit et au bon moment a sauvé la vie de personnes lors d’une crise de tachycardie fatale. Si on sait que de tels chocs provoquent un étirement rapide du tissu cardiaque, on ne comprend pas encore leur effet sur le fonctionnement du cœur. Des chercheurs du Laboratoire des Microsystèmes Souples de l’EPFL et du Département de Physiologie de l’Université de Berne (Groupe Rohr) ont développé une plateforme expérimentale permettant de soumettre des cellules cardiaques à différentes pressions, et observer la réponse électrophysiologique. Leurs résultats sont publiés dans Nature Communications.
Le battement normal du cœur est le résultat d’un processus de couplage électromécanique. Des impulsions électriques traversent le cœur, « ordonnant » au muscle de se contracter. Avec chaque contraction, le sang est ensuite éjecté du cœur, assurant une circulation stable. « Ce couplage est primordial, puisque c’est cela qui assure que le cœur batte à un rythme normal », explique Matthias Imboden, post-doctorant à l’EPFL puis au Département de physiologie durant cette étude.
Jusque-là, la communauté scientifique suggérait que les effets mortels, ou au contraire, salvateurs, résultant d’un choc dans la poitrine, étaient le résultat de l’allongement des cellules cardiaques, ce qui perturbait la conduction des signaux électriques, et donc les battements du cœur. Toutefois, aucun outil ne permettait de le vérifier. « Il existe des méthodes pour reproduire un allongement des cellules, mais trop lentement, et donc de manière trop éloignée des conditions réelles », précise le prof. Stephan Rohr, également auteur de cette étude et professeur à l’Université de Berne.
Reproduire un impact en laboratoire
Pour comprendre ce phénomène, les scientifiques ont collaboré pour développer un outil expérimental permettant de reproduire des chocs en laboratoire, cette-fois-ci avec des conditions beaucoup plus proches de la réalité. La plate-forme est constituée d’une membrane de silicone, sur laquelle sont déposées de très fines électrodes extensibles d’or et de carbone. « Les premières servent à mesurer les réponses des cellules, les secondes à provoquer la déformation du tissu cardiaque », souligne Herbert Shea, à la tête du Laboratoire des Microsystèmes souples et professeur à la Faculté des Sciences et Techniques de l'Ingénieur. Des cellules cardiaques modifiées de rat, qui peuvent être soumises à différentes pressions, sont placées au-dessus.
Un étirement beaucoup plus rapide
Le tissu cardiaque peut ainsi être étiré d’un ordre de 10 à 12%, ce qui correspond à l’étirement naturel des cellules cardiaques lorsque que le cœur bat normalement. Par contre, cet étirement peut se faire jusqu’à 100 fois plus rapidement, comme cela se produit lors d’un impact. Cet outil, qui fonctionne sans moteur, est donc est le seul à proposer un modèle proche d’un cœur humain pour ce genre d’étude, tout en permettant de mesurer les effets d’un choc sur l’électrophysiologie du tissu cardiaque.
Des résultats qui offrent de nouvelles perspectives
Les chercheurs ont pu démontrer que contrairement aux résultats obtenus jusque-là, la propagation des signaux électriques n’est pas affectée lors de l’étirement des cellules, même s’il est très rapide. « Ce ne serait donc pas les cellules cardiaques qui seraient sensibles à cette pression, mais les cellules de tissus conjonctifs adjacents », souligne Stephan Rohr. « Il faut donc explorer d’autres pistes pour comprendre ce qui se passe exactement lors d’un choc ». Cet outil ouvre également la porte à de futures études, comme pour des médicaments spécifiques ou des thérapies géniques ayant un effet bénéfique sur le couplage électromécanique.
EPFL - Prof. Herbert Shea
021 693 6663
Université de Berne - Prof. Stephan Rohr
031 631 8746
This work was supported by the Marie Skłodowska-Curie Action H2020-MSCA-IF-2015 #701614 (to M.I.) and the Swiss National Science Foundation grant CR32I3_166326 and 20020_165993 (to H.S.) and 310030_169234 (to St.R.)
Cette étude est une collaboration entre le Laboratoire des Microsystèmes Souples de l’EPFL et le Groupe Rohr, du Département de Physiologie de l’Université de Berne.
“High-speed mechano-active multielectrode array for investigating rapid stretch effects on cardiac tissue”, Nature Communications (2019) 10:834 Matthias Imboden, Etienne de Coulon, Alexandre Poulin, Christian Dellenbach, Samuel Rosset, Herbert Shea & Stephan Rohr
DOI: https://doi.org/10.1038/s41467-019-08757-2