«Pile ou face», ou comment comprendre les sphères

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En collaboration avec l’Université Purdue, des scientifiques de l’EPFL a répondu à une question vieille de 30 ans sur les sphères et les espaces à 4 dimensions. Les résultats apportent un éclairage nouveau sur la «classe d’Euler», l’un des outils les plus performants pour comprendre les espaces complexes.

Pour les mathématiciennes et mathématiciens, la «classe d’Euler» est l’un des outils les plus performants pour comprendre les espaces complexes en les découpant en éléments plus simples. Elle doit son nom au mathématicien suisse Leonard Euler, qui a été le premier à envisager cette idée.

«Tout comme quelque chose d’aussi complexe que l’ADN, qui est finalement constitué d’atomes simples, c’est la manière dont ces éléments simples sont assemblés qui contient les informations importantes plutôt que les éléments eux-mêmes», déclare le professeur Nicolas Monod, qui dirige l’unité de recherche Ergodic and Geometric Group Theory de l’EPFL. Son équipe s’est associée à des collègues de l’Université Purdue pour répondre à une vieille question sur les sphères. La réponse a été publiée dans la revue mathématique Inventiones.

En 1958, John Milnor, médaillé Fields, a remarqué un problème en tentant de créer des espaces uniquement avec des cercles et des surfaces bidimensionnelles: il existe une limite à la complexité de la classe d’Euler en deux dimensions. Cette observation a fait boule de neige et a donné lieu à tout un domaine de recherche sur les dimensions supérieures. Les mathématiciennes et mathématiciens ont rapidement compris que la «complexité liée» de John Milnor ne s’appliquait pas aux espaces dans toutes les dimensions.

Nicolas Monod explique: «Une question était restée sans réponse pendant des décennies: pourquoi ne pas assembler des sphères sur des espaces à 4 dimensions? Y a-t-il aussi une limite à la manière dont elles s’ajustent?» Il poursuit: «L’assemblage de sphères sur des espaces à 4 dimensions est une construction particulièrement importante car c’est précisément de cette manière que les toutes premières “sphères exotiques” ont été créées!»

Les approches classiques de la compréhension des espaces se sont avérées incapables de répondre à cette question quadridimensionnelle. C’est pourquoi les chercheuses et chercheurs de l’EPFL se sont inspirés du processus de Bernoulli, du nom du mathématicien suisse Jacob Bernoulli. Le processus de Bernoulli, qui est un modèle de lancer de pièces de monnaie, a été combiné à l’étude des sphères et à la classe d’Euler pour finalement répondre à la question.

«Une chose très curieuse s’est produite lorsque nous avons entrepris de résoudre ce problème», affirme Nicolas Monod. «Si cette question spécifique aux 4 dimensions est restée si longtemps sans réponse, c’est peut-être parce qu’aucune des méthodes classiques utilisées pour comprendre les espaces ne semblait pouvoir y répondre. À la place, nous nous sommes tournés vers une source d’inspiration improbable: le lancer de pièces de monnaie!»

Le «pile ou face» est un jeu où l’on a une chance sur deux de deviner le bon côté d’une pièce de monnaie. Cela peut paraître très simple, mais cette simplicité est trompeuse. «Le processus de Bernoulli comprend déjà de nombreuses caractéristiques avancées de la théorie des probabilités quand on entreprend de répéter le lancer de plus en plus souvent», indique Nicolas Monod. «En fait, la loi des grands nombres nous dit même que ce modèle simple peut reproduire de nombreux phénomènes aléatoires les plus complexes de la nature si nous sommes prêts à lancer suffisamment de pièces de monnaie pendant assez longtemps.»

Les probabilités et les processus aléatoires peuvent sembler ne pas avoir grand-chose à voir avec l’analyse des dimensions supérieures de l’espace, mais les mathématiques sont autant un art créatif qu’une science. «Au début de l’année, nous avons publié un article décrivant comment les jeux de pièces de monnaie aléatoires de Bernoulli peuvent permettre de répondre à certaines questions algébriques difficiles, très peu aléatoires», explique Nicolas Monod. «Cela a désormais été combiné avec l’étude des sphères et la classe d’Euler pour finalement répondre à la vieille question sur les espaces à 4 dimensions: non, il n’y a aucune limite à la taille de la classe d’Euler pour les sphères à 4 dimensions.»

«Les pièces de monnaie sont donc venues au secours de l’algèbre et de la géométrie, et Bernoulli visite la classe d’Euler: les mathématiciennes et mathématiciens font les choses différemment», conclut-il.

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Références

Monod, N., Nariman, S. Bounded and unbounded cohomology of homeomorphism and diffeomorphism groups. Inventiones mathematicae, 06 February 2023. DOI: 10.1007/s00222-023-01181-w