Percer le secret des médicaments amorphes contre le diabète

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Des scientifiques de l’EPFL et d’AstraZeneca ont mis au point une méthode permettant de cartographier la structure au niveau atomique de médicaments amorphes. Cette méthode a été démontrée sur un candidat agoniste du récepteur GLP-1 pour le traitement du diabète et de l’obésité.
L’un des principaux obstacles au développement de médicaments est la solubilité. De nombreuses molécules médicamenteuses prometteuses ne se dissolvent pas assez bien dans l’organisme, ce qui complique leur absorption, notamment sous forme de comprimés. Pour surmonter cet obstacle, les scientifiques se tournent souvent vers des formes «amorphes» de médicaments. Contrairement aux solides cristallins, où les atomes s’alignent en une grille ordonnée, les matériaux amorphes sont un pêle-mêle moléculaire. Ce désordre peut augmenter considérablement la solubilité, mais il a un prix: l’instabilité. Avec le temps, les médicaments amorphes peuvent se réorganiser en cristaux, perdant ainsi leur efficacité.
Pour empêcher que cela ne se produise, les scientifiques doivent comprendre ce qui maintient la stabilité des médicaments amorphes. Mais c’est difficile. Ces matériaux sont tellement désordonnés que les techniques traditionnelles comme la cristallographie aux rayons X ne fonctionnent pas. Jusqu’à très récemment, personne n’avait jamais cartographié la structure atomique 3D complète d’un solide amorphe pharmaceutique.
Aujourd’hui, des chercheuses et chercheurs sous la houlette du professeur Lyndon Emsley de l’EPFL et de Staffan Schantz d’AstraZeneca ont mis au point une nouvelle méthode efficace pour cartographier la structure au niveau atomique des médicaments amorphes utilisés dans le diabète. Les chercheuses et chercheurs ont repris une méthode qu’ils ont développée en 2023, qui combine la cristallographie par RMN avec l’apprentissage machine et des simulations de dynamique moléculaire, pour produire, pour la première fois, une structure 3D au niveau atomique d’un solide pharmaceutique amorphe, validée expérimentalement.
Grâce à cette méthode, l’équipe a pu étudier l’un des agonistes expérimentaux du récepteur GLP-1 d’AstraZeneca, un type de médicament servant à traiter le diabète de type 2 et l’obésité. Ces médicaments sont habituellement injectables, mais trouver des moyens de créer des versions orales stables et efficaces pourrait faire une grande différence pour les patientes et patients du monde entier.
L’équipe a d’abord mesuré comment les noyaux atomiques du médicament réagissent aux champs magnétiques en utilisant la résonance magnétique nucléaire (RMN) à l’état solide. Ces mesures ont donné des distributions de déplacements chimiques pour 17 atomes de carbone et 16 atomes d’hydrogène dans la molécule.
Les scientifiques ont ensuite simulé plus de neuf millions d’environnements moléculaires possibles à l’aide de superordinateurs et appliqué un outil d’apprentissage machine appelé ShiftML2 pour prédire les déplacements chimiques correspondants. En faisant correspondre les prédictions aux expériences, ils ont choisi les structures les plus probables.
Les liaisons hydrogène sont la clé
En combinant des données expérimentales avec des simulations avancées, l’équipe a pu déterminer quelles conformations et interactions moléculaires existaient réellement au sein de la structure amorphe. Les scientifiques ont constaté que les molécules médicamenteuses ont tendance à former des liaisons hydrogène entre elles ou avec les molécules d’eau environnantes. Ces liaisons agissent comme des «ancres» moléculaires, réduisant la tendance des molécules à se réarranger en une structure cristalline et moins soluble, surtout lorsque des molécules d’eau sont impliquées.
L’analyse a même montré quelles structures cycliques de la molécule avaient tendance à adopter des orientations spécifiques pour aider à prévenir la cristallisation. Par exemple, certaines parties de la molécule, comme les cycles benzodioxole et benzimidazole, sont plus susceptibles de se tordre selon des angles particuliers, notamment autour de -150° et -60° pour le cycle benzodioxole par rapport au cycle pipérazine.
Ces torsions «préférées» aident à enfermer la molécule dans une forme stable et non cristalline, ce qui rend plus difficile la réorganisation du matériau en une structure cristalline, un processus qui réduirait considérablement la solubilité du médicament et, par extension, son efficacité dans l’organisme.

Une méthode révolutionnaire
L’étude a également révélé un progrès méthodologique majeur. Au lieu de s’appuyer uniquement sur des prédictions informatiques pour déterminer quelles structures moléculaires devraient être stables – une approche qui peut parfois passer à côté d’importants comportements réels – les chercheuses et chercheurs ont validé leurs modèles par rapport à des données expérimentales réelles issues de mesures de RMN.
Cela signifie qu’ils ont pu confirmer, avec un degré de fiabilité élevé, les arrangements exacts au niveau atomique présents dans le médicament amorphe. En filtrant leurs modèles informatiques par rapport à des observations expérimentales réelles, ils ont créé une carte 3D inédite et fiable d’un solide pharmaceutique amorphe.
«Il s’agit d’un niveau de détail structurel sans précédent, et les connaissances sur les mécanismes de stabilisation de la forme amorphe de cet agoniste du GLP-1R qu’il fournit représentent un grand pas en avant dans la compréhension des formes médicamenteuses amorphes», déclare Lyndon Emsley.
Pour les agonistes du GLP-1R, largement utilisés dans le traitement du diabète de type 2 et de l’obésité, cela pourrait déboucher à terme sur des alternatives orales efficaces aux injections, améliorant significativement le confort de la patiente ou du patient et l’observance du traitement.
Autres contributeurs
- National Centre for Computational Design and Discovery Novel Materials (MARVEL)
- Université de Göteborg
AstraZeneca
Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS)
Programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne
NCCR MARVEL
Daria Torodii, Manuel Cordova, Jacob B. Holmes, Pinelopi Moutzouri, Tommaso Casalini, Sten O. Nilsson Lill, Arthur C. Pinon, Christopher S. Knee, Anna Svensk Ankarberg, Okky Dwichandra Putra, Staffan Schantz, Lyndon Emsley. Three-dimensional Atomic-Level Structure of an Amorphous Glucagon-like Peptide-1 Receptor Agonist. JACS 07 mai 2025. DOI: 10.1021/jacs.5c01925