Pas plus fort, mais plus vite - la régulation génique sous la loupe

Un modèle de la chromatine © Beat Fierz/EPFL

Un modèle de la chromatine © Beat Fierz/EPFL

En mesurant le mouvement de molécules isolées, des chercheurs de l’EPFL ont observé que des protéines spécialisées contrôlaient l’expression des gènes en liant et compactant des portions d’ADN dans les cellules. Leurs résultats vont influencer la génétique et la recherche sur le cancer.

Au sein d’une cellule, l’ADN est étroitement enroulé et conditionné avec diverses protéines dans une structure nommée « chromatine », qui lui permet de rester confinée et empêche les gènes de s’exprimer au mauvais moment. Guidées par un « code-barres » chimique, des protéines effectrices spécialisées peuvent alors se lier à ladite chromatine pour soit la dérouler, soit la compacter davantage afin d’activer les gènes ou de les réduire au silence. Ce processus joue un rôle crucial en biologie et médecine, notamment en matière de lutte anti cancer. Cependant, l’efficacité des interactions entre effecteurs et chromatines restait jusqu’ici très floue compte tenu de la faiblesse de leur liaison. Or, en suivant ces interactions une molécule après l’autre, des scientifiques de l’EPFL ont montré en exclusivité de quelle manière une protéine effectrice majeure accélérait sa recherche de sites de liaison chromatinique en formant des paires avec ses semblables. Cet élégant mécanisme moléculaire est publié dans Nature Communications.

Conditionner l’ADN

Chaque cellule humaine contient pas moins de 1,8 mètre d’ADN. Pour y tenir, celui-ci est enroulé fermement autour de protéines qui ressemblent à des bobines, les histones. Celles-ci le compressent jusqu’à 0,09 mm – soit une longueur réduite de 20’000 fois. Le complexe histones-ADN est appelé chromatine. Par son biais, la cellule régule l’activation des gènes à n’importe quel moment en déroulant la partie y relative de l’ADN compressé. Pareillement, elle peut en « réprimer » en formant des fibres denses et compactes de chromatine. Tout ceci est réalisé au moyen de protéines « effectrices », qui se lient à la chromatine et changent leur structure 3D pour ouvrir ou comprimer l’ADN qui contient le gène concerné.

Ce mécanisme est exploré par de nombreux champs biologiques et médicaux, comme la génétique et la lutte contre le cancer, car il est au cœur de la régulation génique cellulaire. Notre compréhension de la façon dont ce système clé parvient à rester efficace malgré la faiblesse de la liaison entre effecteurs et histones est toutefois lacunaire. Force théories ont été émises, mais le mystère demeure.

Plus vite au lieu de plus fort

Or, le laboratoire de Beat Fierz à l’EPFL a désormais démontré qu’une protéine effectrice majeure augmentait son efficacité, non pas en se liant plus fortement à la chromatine, mais en le faisant plus rapidement et de façon réitérée. Cette protéine, nommée HP1α, se dissocie relativement facilement de la chromatine, un phénomène répandu dans les interactions entre protéines et ADN. Pour pallier cette attache relativement souple, la HP1α accélère son taux de liaison, et forme des paires avec ses semblables afin de maximiser les sites d’attache.

Les scientifiques ont utilisé des mesures à l’échelle d’une molécule unique, une méthode expérimentale ultrasensible. Cette technique, qui n’avait encore jamais été usitée dans ce contexte, leur a permis d’observer en temps réel des protéines isolées de HP1α interagir avec la chromatine. L’équipe a en outre synthétisé des fibres de chromatine contenant les identifiants chimiques requis, et utilisé ce système pour explorer la liaison HP1α sous diverses conditions et paramètres.

Outre l’accroissement du taux de liaison, les chercheurs ont également observé que la HP1α augmentait ses sites de liaison pour maximiser ses interactions avec la chromatine lorsqu’elle se connectait à d’autres protéines HP1α pour créer des dimères. Rappelons que les interactions intracellulaires ne sont pas statiques; des molécules se connectent et se déconnectent constamment, et sont souvent en compétition pour le même site. En dopant sa vitesse de liaison et en multipliant les sites y afférents, la HP1α augmente ses chances de se lier plus longtemps à la chromatine, et donc de pouvoir réguler l’expression génique.

Etant donné l’importance de ce mécanisme pour la prolifération des cellules et leur croissance, celui-ci s’avère crucial en matière de recherche contre le cancer, ainsi que pour d’autres maladies découlant de la régulation des gènes. Le groupe de Fierz travaille désormais à étendre sa méthodologie monomoléculaire à des processus plus compliqués, notamment à la réparation de l’ADN endommagé. « Nous voulons observer la biologie complexe en temps réel, et la comprendre à un niveau quantitatif, » explique-t-il. « Nos méthodes chimiques nous confèrent un contrôle complet de la dynamique protéine-chromatine, et l’étude présentée ici ouvre la voie à des connaissances sans précédent dans le domaine ».

Source

Kilic S, Bachmann AL, Bryan LC, Fierz B. Multivalency governs HP1α association dynamics with the silent chromatin state.Nature Communications 18 June 2015. DOI: 10.1038/ncomms8313