Paolo Tombesi remporte le Symposium Latsis EPFL 2023
L’avenir de l’architecture passe-t-il par des bureaux de petite taille dirigés par des femmes? C’est l’une des pistes que compte bien investiguer Paolo Tombesi lors de l’évènement «Affirming Actions», qui se tiendra en mars prochain au Rolex Learning Center. Convaincu, le jury du Symposium Latsis EPFL a décerné son prix 2023 au professeur d’architecture.
Moins de 5%: telle est la part estimée des bureaux d’architectes pilotés par des femmes en Europe. «Hormis le fait qu’ils sont statistiquement minoritaires dans la profession, les bureaux fondés et dirigés par des architectes de sexe féminin se distinguent par leur travail axé sur l’engagement communautaire, les défis environnementaux et les propriétés des matériaux», relève Paolo Tombesi. Cette réalité ressort d’une étude confiée il y a quelques années à ses étudiantes et étudiants par le professeur du Laboratoire de construction et d’architecture (FAR) de l’EPFL, alors qu’il enseignait l’économie politique du design.
Intrigué, Paolo Tombesi pousse la recherche plus loin et se plonge dans le travail de ces architectes. «J’ai découvert que bon nombre d’entre elles dirigeaient des bureaux de petite taille, qui occupaient des positions marginales dans la branche.» Or, «même si leur travail est axé sur des niches qui ne sont pas considérées comme ‘à succès’, j’ai rapidement eu l’intuition que notre profession était en train de changer grâce à ces architectes, qu’elles donnent des pistes originales pour le futur et qu’il vaut la peine de les suivre de près».
Beaucoup d’espace mais peu de ressources
C’est dans ce contexte qu’a germé l’idée de la conférence «Affirming Actions: Models of architectural agency from the work of women-led practices», pour lequel Paolo Tombesi vient d’obtenir le Symposium Latsis EPFL 2023. Ce prix doté de 40'000 francs soutient chaque année un chef d’unité de l’EPFL dans l’organisation d’un symposium scientifique. «Affirming Actions» se tiendra le 25 mars 2023 au Rolex Learning Center selon une formule déjà éprouvée lors d’un événement en ligne – sur le même thème - organisé en mai 2021. Douze invitées - issues d’autant de pays répartis sur cinq continents – prendront part par groupe de trois à des «conversations» organisées autour d’axes thématiques. «Afin de rendre la manifestation la plus vivante possible, nous avons opté pour un format TED: au début de chacune des conversations, les trois participantes feront à tour de rôle un exposé de 15 minutes, puis s’ensuivra une discussion collective de 45 minutes», précise le professeur d’architecture.
Nous avons opté pour un format TED: au début de chacune des conversations, les trois participantes feront à tour de rôle un exposé de 15 minutes, puis s’ensuivra une discussion collective de 45 minutes.
Aussi diversifié le panel d’invitées soit-il – ces architectes sont issues de cinq groupes ethniques différents et âgées de 35 à 70 ans -, il existe entre elles plusieurs dénominateurs communs. A commencer par le fait qu’elles ont toutes reçu des prix prestigieux. Ce qui les rassemble aussi, c’est «leur utilisation des projets bâtis comme tremplins pour leurs idées et leurs systèmes de valeurs», poursuit Paolo Tombesi, basé au Smart Living Lab de Fribourg. De façon plus générale, il constate que «la majorité des femmes à la tête de petits bureaux d’architectes sont actives soit sur des marchés low-cost, soit dans des régions où il y a une forte demande mais peu de ressources, souvent dans des pays en transition.» Et c’est peut-être justement «cette nécessité qui nourrit leur créativité». Que ce soit dans le domaine architectural, de la science des matériaux, de l’optimisation de l’utilisation de l’espace ou de la stratégie: conseils et suivi auprès des communautés, mandats bien rémunérés pour contrebalancer le travail peu – voire pas - rétribué, travail en réseau avec des agences techniques, collaboration avec la recherche universitaire et avec des fondations, etc.
Mosquée participative
Parmi les participantes annoncées au symposium «Affirming Actions» figure notamment la Marocaine Salima Naji, lauréate d’un Holcim Award for Sustainable Construction. «Salima a investi une partie des ressources familiales dans la sauvegarde des greniers de l’Atlas; il y a donc de sa part un engagement personnel très fort, à la fois financier et émotionnel», commente Paolo Tombesi. A l’autre bout du monde, en Australie, Hannah Robertson planche sur l’habitat de communautés aborigènes. Le travail de cette architecte - lauréate de l’Australian Research Council Discovery Early Career Researcher Award - a impliqué une réorganisation en profondeur de l’utilisation et de la circulation des ressources sur place, ainsi qu’une recherche d’aide extérieure, notamment auprès de prestataires de services qui ont accepté d’œuvrer pro bono. Quant à la Bangladaise Marina Tabassum – récompensée entre autres par l’Aga Khan Award for Architecture -, elle est parvenue à ériger sa célèbre mosquée grâce à des briques données par la communauté entière. «Ce projet est d’autant plus intéressant que c’est le micro-financement des familles vivant à proximité du lieu de culte qui a influencé le choix des matériaux et des technologies de construction.»
L’un des axes prioritaires du symposium sera la perspective socio-technique.
Perspectives socio-techniques
«L’un des axes prioritaires du symposium sera justement la perspective socio-technique», indique le professeur de l’EPFL. Or, ce regard socio-technique sur le travail d’une sélection d’architectes de sexe féminin sera une première mondiale. L’événement de mars 2023 constituera donc un terreau fertile pour faire avancer la recherche dans ce domaine. Paolo Tombesi espère en outre qu’«Affirming Actions» permettra d’apporter des éléments de réponse à une double interrogation. Est-ce que ces bureaux d’architectes comportent un nombre relativement élevé de femmes à des positions dirigeantes en raison de leur affinité particulière pour les projets sur des marchés considérés comme «inférieurs»? Ou est-ce que - par exemple en raison de conditions-cadres inégalitaires - les femmes ont besoin de ce type de structures alternatives pour se faire une place dans la profession? Parallèlement, le professeur compte bien profiter du rayonnement de l’EPFL pour ouvrir le débat sur une question brûlante: quel rôle pourraient jouer les Universités dans la diffusion de ces nouveaux modèles prometteurs?