«On peut tourner le bouton, mais on ne sait pas ce qui va se passer»

Markus Jeschek. Credit: Alain Herzog (EPFL)
Markus Jeschek est professeur assistant tenure track, titulaire de la Chaire Lonza en biosynthèse durable de l’EPFL. Ses recherches portent sur la création de microbes synthétiques dotés de nouvelles capacités.
Markus Jeschek est professeur assistant tenure track dans les Facultés des sciences de la vie et des sciences de base de l’EPFL. Il dirige la Chaire Lonza en biosynthèse durable, où, avec son équipe, il ambitionne de créer des microbes pourvus de nouvelles capacités.
Sur quoi portent vos recherches?
Notre premier objectif est de fabriquer des microbes synthétiques qui répondent aux différents besoins de la vie quotidienne. Les microbes ont un métabolisme polyvalent qui leur permet de se développer sur des matériaux renouvelables, voire de déchets. En utilisant les bonnes méthodes, ils peuvent même fabriquer des produits chimiques utiles à l’industrie. Dans notre intestin, par exemple, la communauté microbienne qui s’y trouve peut percevoir différents stimuli et, en réponse, influencer les conditions chimiques, ce qui impactera notre bien-être.
Nous nous appuyons sur ces capacités remarquables et les développons à l’aide de modifications génétiques. L’objectif est de doter les microbes de fonctions entièrement nouvelles – par exemple, fabriquer de nouveaux produits chimiques, détecter de nouveaux stimuli ou réagir de manière différente et contrôlable.
Qu’est-ce qui vous a amené dans ce domaine?
En cours de biologie, nous avons appris que les bactéries utilisent de petites molécules d’ADN en forme d’anneau, appelées plasmides, pour échanger des informations génétiques. J’ai été fasciné par le fait que l’on peut remplacer cette information par ce qu’on veut, par exemple par le gène de l’insuline humaine. Les bactéries produiront alors l’hormone antidiabétique, un processus réalisé à l’échelle de centaines de milliers de litres pour fabriquer de l’insuline identique à celle de l’être humain, à faible coût et avec une grande précision. Même s’il s’agit d’un exemple ancien, le fait que de telles choses soient possibles avec des pratiques relativement simples me fascine toujours.
Pourquoi ce sujet vous séduit-il?
Notre société est très dépendante des produits pétrochimiques. Il est difficile de trouver un objet qui n’a pas été fabriqué ou traité avec. Ces produits chimiques sont fabriqués en grande quantité par des procédés dangereux et énergivores à partir du pétrole. Développer des alternatives microbiennes durables pour obtenir de tels produits chimiques est une motivation essentielle pour mon équipe et moi-même.
Les bactéries peuvent-elles consommer des matières comme les plastiques?
Oui, elles en sont capables. Les bactéries sont essentiellement des réseaux réactionnels complexes gérés par des molécules protéiques appelées enzymes. Il existe des enzymes dites PETases, nommées d’après le PET bien connu, qui peuvent dégrader chimiquement le plastique. Il s’agit d’un domaine de recherche passionnant.
Les résidus agricoles, les matières laissées sur les champs après la récolte, sont un autre exemple. Au lieu de les gaspiller ou de les brûler, nous pouvons les utiliser pour produire des choses utiles. Par exemple, la vanilline est une molécule aromatique avec laquelle nous travaillons souvent. Imaginez partir de déchets et finir avec quelque chose qui sent bon et qui peut être ajouté à la nourriture.
Quelles difficultés rencontrez-vous?
Un grand défi est la complexité des microbes. On peut les considérer comme un réseau de milliers de biomolécules en interaction. Lorsque nous modifions leurs gènes pour produire quelque chose de nouveau, on peut «activer quelque chose», mais on ne peut pas prédire ce qui va se passer. C’est un problème peu ordinaire.
C’est pourquoi, aujourd’hui encore, la majeure partie de l’ingénierie se fait par tâtonnements: nous effectuons des modifications génétiques, nous observons ce qui se passe et nous espérons qu’il n’y aura pas de problème. Parfois, cela fonctionne; souvent, cela ne fonctionne pas. C’est laborieux et sujet à l’échec.
Nos recherches visent à rendre ce processus plus «rationnel» et donc plus efficace. Pour ce faire, nous développons des outils moléculaires qui permettent de tester des millions de variantes génétiques pour des traits spécifiques, par exemple, la capacité de produire une substance chimique. Nous utilisons ensuite les données, souvent des milliards de points de données, pour entraîner des modèles d’apprentissage machine qui prédisent comment de nouvelles modifications génétiques influenceront le trait souhaité sans avoir à faire d’autres expériences. Cela augmente considérablement les chances de réussite et la vitesse à laquelle nous pouvons développer de nouveaux bioprocédés.
Qu’enseignez-vous à l’EPFL?
Cet automne, j’ai lancé un cours de biologie chimique, destiné aux étudiantes et étudiants de cinquième semestre en chimie et ouvert également à celles et ceux en sciences de la vie. Il explique comment nous pouvons utiliser des outils chimiques pour mieux comprendre et manipuler les systèmes biologiques – par exemple, comment les médicaments interagissent avec les enzymes ou comment de nouveaux diagnostics peuvent être conçus avec la chimie.
L’année prochaine, j’envisage d’introduire un cours de microbiologie synthétique et appliquée pour le niveau Bachelor et Master avancé. Les étudiantes et étudiants apprendront les technologies de pointe pour la conception de systèmes microbiens aux propriétés nouvelles et leurs applications dans les sciences de la vie modernes.
Qu’est-ce qui vous plaît dans l’enseignement?
Si je fais bien mon travail, je peux voir les étudiantes et étudiants progresser considérablement en peu de temps. En 12 à 14 semaines, ils acquièrent les connaissances et la confiance nécessaires pour aborder de nouveaux sujets de manière autonome et trouver leurs propres idées. C’est extrêmement gratifiant.
Personnellement, c’est quand j’étais activement impliqué que j’apprenais le mieux. Ce sentiment d’avoir accompli quelque chose par moi-même a toujours été un puissant facteur de motivation. Je crois donc que l’enseignement devrait aller au-delà de la transmission du savoir : il devrait créer un cadre qui encourage la créativité et la participation. C’est le genre de programme que je souhaite créer ici.
Pouvez-vous nous en dire plus sur vous?
Il y a un restaurant à Munich qui appartenait autrefois à l’un de mes très bons amis, et sur le mur se trouve un puzzle de 34 000 pièces que j’ai terminé. J’aimerais avoir encore du temps pour cela aujourd’hui. Peut-être que je le consacre aujourd’hui à un autre type de puzzle… Ce qui est drôle, c’est qu’il manque une pièce, malheureusement. Mais mon ami l’a quand même accroché. Si quelqu’un trouve ce puzzle, qu’il m’envoie une photo et je l’inviterai à boire un verre!